Ce n'est pas avec le VIH que le Pr Montagnier est devenu chercheur, mais c'est avec le VIH qu'il a pris l'envergure d'une personnalité publique. Le travail du chercheur rejoignant ici directement une préoccupation sanitaire, qui allait devenir planétaire.
On se souvient de la controverse qui a opposé l'équipe de l'Institut Pasteur à l'Américain Robert Gallo, quant à la paternité de la découverte du virus du SIDA. Au LAV (Lymphadenopatic Associated Virus), isolé par les francais, et visualisé en microscopie électronique en 1983, l'Américain opposait « son » virus, décrit comme un HTLV III (Human T Lymphocytes Virus). L'hypothèse HTLV est rapidemment apparue abberrante. Comme le rappelle Simon Wain-Hobson, la structure du génome du VIH diffère notablement de celle d'un HTLV. En fait, avant la découverte des SIV, très probables ancêtres simiens du VIH, c'est d'un virus équin (visna virus) que le LAV se rapprochait le plus, comme l'avait remarqué Luc Montagnier, et non d'un HTLV. Peut-être l'évidente paternité francaise aurait-elle d'ailleurs mérité d'être mieux reconnue dans les accords signés avec les Américains pour le partage des royalties provenant du test.
La maladie des « quatre H »
Evidemment, au début des années quatre-vingt, les choses étaient moins nettes. Il faut se souvenir, pour mesurer l'ignorance, que certains parlaient de la maladie des « quatre H » : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles, Haïtiens. On n'allait pas tarder à découvrir le désastre africain.
Initialement, « personne n'a eu conscience de l'épidémie à venir », rappelle Francoise Barré-Sinoussi. Ni d'ailleurs de la complexité de la maladie. « On parlait de lymphadénopathie généralisée. Avec les cliniciens, nous sommes allés chercher dans les ganglions. On a finalement isolé le LAV ». Son effet cytopathogène sur les lymphocytes en culture a rapidement fourni une explication toute simple à l'immunodépression : « Le virus tue les CD4. »
On est aujourd'hui largement revenu de cette simplicité. On sait que de nombreux mécanismes concourent à la chute des CD4, en particulier l'activation précoce de l'immunité dans l'organisme infecté et les anomalies des signaux d'activation. Après une quinzaine d'années de recherche intensive, il faut toutefois reconnaître que l'on ne comprend toujours pas l'ensemble des mécanismes aboutissant à la chute du taux de CD4.
On a pourtant beaucoup avancé : comment le virus pénètre-t-il dans l'organisme par les muqueuses ? Comment s'opère la dérégulation du système immunitaire ? Comment disparaissent les CD4 ? Comment s'instaurent les résistances. Ni encore, et peut-être, surtout, comment les primates vivent en pleine symbiose avec leur infection. On cherche bien sûr du côté d'un contrôle partiel de la réplication virale, qui pourrait aussi être en cause chez les sujets non progresseurs - ou progresseurs lents. Pour le moment toutefois, il n'existe aucune explication de l'équilibre organisme/virus, ni davantage d'explication du déséquilibre.
La recherche vaccinale a commencé très tôt
La question rejoint celle de la vaccination. La recherche vaccinale a en fait commencé très tôt, dès les années 1986-1987, pour être, aujourd'hui encore, tenue en échec. Le Pr Montagnier tient pourtant encore à cette piste et continue ses recherches sur une vaccinothérapie, en collaboration avec Transgène. Comme il tient d'ailleurs toujours à l'hypothèse, émise voilà onze ans, « de cofacteurs microbiens augmentant la transmissibilité et la virulence de l'infection ». On a reconnu le mycoplasme. « Toutes les souches de cellules de laboratoires infectées par le VIH dans le monde sont coïnfectées par le mycoplasme. » Aboutira, aboutira pas... l'avenir le dira.
En attendant, vingt ans après le premier signalement de l'épidémie, il y a une urgence criante : « Que tous les médicaments soient disponibles partout. » Partout, c'est non seulement en Afrique, mais aussi en Russie, où le nombre d'infections est passé de 400 000 à 800 000 en deux ans, suivant une courbe exponentielle. Ou encore en Chine, où, dans certaines provinces des confins, les précautions transfusionnelles sont chose inconnue. Le bilan le plus négatif en vingt ans est d'ailleurs probablement celui de l'Asie. Sur une carte de la prévalence du VIH dans le monde au milieu des années quatre-vingt, montrée par Simon Wain-Hobson, l'Asie n'était tout simplement pas représentée...
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