Vingt ans de lutte contre le SIDA

Publié le 18/04/2001
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L E choix de Robin Weiss, chercheur à l'université de Londres, de raconter l'histoire du VIH à la façon d'un conte pour enfant n'est certainement pas anodin, car la complexité de la maladie relève parfois du fantastique. L'aventure dans le monde des Lilliputiens-VIH commence par une querelle d'experts, en 1986, pour savoir qui sont ces êtres qui pénètrent le corps, puis attaquent lentement ses défenses, ainsi à l'origine d'invasions par d'autres micro-organismes d'une détérioration globale de l'organisme et/ou du cerveau.

Comme tous les virus, le VIH se réplique à l'intérieur d'une cellule hôte vivante. Il dispose pour cela d'un génome constitué de deux copies d'ARN, que la transcriptase inverse (TI) transforme en une copie d'ADN. Le virus peut alors s'intégrer dans l'ADN de la cellule hôte et utiliser sa machinerie cellulaire pour fabriquer de nouvelles particules.
Pour lutter contre l'invasion cellulaire, les hommes ont d'abord créé des inhibiteurs de la transcriptase inverse, puis ils ont ciblé leurs efforts sur la protéase, une enzyme qui intervient au moment de l'assemblage de nouvelles particules virales en scindant des précurseurs protéiques.
L'histoire ne s'arrête pas là. La recherche porte actuellement sur la phase d'attache des virus sur les récepteurs cellulaires et sur l'intégration de l'ADN viral dans l'ADN de la cellule hôte. Le VIH infecte principalement les cellules du système immunitaire, les lymphocytes T helper, en particulier, qui expriment le récepteur CD4 sur lequel se fixe le virus. D'autres récepteurs de surface servent à guider l'enveloppe virale pour optimiser la fusion avec la membrane cellulaire et son intégration. Les lymphocytes CD4 ne sont malheureusement pas les seules cibles du VIH, comme on le pensait. Les macrophages, y compris ceux de la microglie, sont un important réservoir de virus. Les cellules dendritiques sur lesquelles s'attachent le virus sont un moyen de transporter le VIH depuis les portes d'entrée des muqueuses jusqu'aux ganglions lymphatiques, qui sont alors infectés. A toutes les étapes de la maladie, de forts taux de réplication virale, de destruction et de renouvellement cellulaire peuvent se produire, mais l'immunodéficience ne devient parlante qu'au dessous d'un seuil critique de CD4, après un certain nombre d'années.

Adaptation et prolifération, du singe à l'homme

Le passage des souches VIH1 et VIH2 du singe (chimpanzé et mangabey) à l'homme a modifié la virulence du germe, car l'hôte naturel de ces virus ne développe pas de SIDA. Plus généralement, il n'y a pas de corrélation entre la pathogénie et la dynamique de la transmission : un singe mangabey peut avoir une charge virale susceptible de provoquer un SIDA chez l'homme ou le macaque et demeurer asymptomatique. Il est possible que la différence de virulence soit en réalité plus liée à la réponse de l'hôte qu'au virus lui-même. Le VIH pourrait en activant le système immunitaire humain rendre un plus grand nombre de cellules sensibles à des infections en cours et à des phénomènes d'apoptose. In fine, la baisse des CD4 ferait pencher la balance en faveur de l'infection virale, aux dépens de l'immunité.
En matière de VIH2 que l'on croyait moins agressif que le VIH1, deux nuances sont aujourd'hui à faire. La vitesse de progression plus lente de cette infection résulte en réalité d'une évolution bimodale : certains patients progressent à la même vitesse qu'avec le VIH1, alors qu'un plus grand nombre sont des non-progresseurs (Long Term Survivors). En outre, les pathologies cérébrales sont plus fréquentes chez les SIDA infectés par le VIH2. Chaque expédition des VIH1 et VIH2 dans le corps humain a rencontré des surprises en matière de réponse de l'hôte, lors du passage de l'homme à la femme, de la mère à l'enfant et horizontalement dans les aiguilles intraveineuses. Toutes ces étapes sont autant de niveaux de complexité de la physiopathogénie de la maladie.

Les moyens de transport modernes

Les aiguilles ont été un mode de dispersion extraordinaire du VIH, qu'il s'agisse de matériel partagé ou réutilisé comme en Afrique. Après s'être installé dans sa nouvelle demeure, le virus a utilisé les moyens de transport modernes, comme les axes routiers ou les liaisons aériennes, pour se répandre beaucoup plus largement qu'aurait pu le faire un moustique. Les VIH1 du groupe M, comprenant les sous-types (ou clades) A-H, ont colonisé les Amériques (clade B), le Cap et le nord de la corne de l'Afrique (clade C), la Thaïlande (clade E). Cette dissémination des génomes du VIH1 du groupe M peut être assimilée à une explosion stellaire. Mais lorsque les chemins des clades se sont à nouveau croisés, le VIH1 s'est recombiné, ce qui explique que certains virus ont aujourd'hui une généalogie extrêmement complexe. On observe même des virus recombinés provenant des groupes M et O.

Un modèle de génomique fonctionnelle

Le VIH est un modèle d'étude de la génomique fonctionnelle : il présente un degré de mutagenèse maximal, alors qu'il maintient ses fonctions et ses capacités de réplication. La diversité génomique du VIH générée par une seule infection est aussi importante que celle d'une épidémie de grippe A dans le monde.
L'impact du VIH sur les maladies infectieuses est un autre élément à prendre en considération. Les infections opportunistes, dont une centaine ont été répertoriées (virales, bactériennes, fongiques, parasitaires), ont, d'une part, augmenté et, d'autre part, généré un problème de résistance aux antibiotiques comme la tuberculose. Le SIDA affecte les programmes de vaccination : le vaccin antipneumococcique multivalent est inefficace chez les Africains infectés par le VIH ; à l'inverse, des vaccins vivants atténués peuvent devenir dangereux chez les patients. Le virus peut transformer des infections aiguës en infections chroniques, en raison de la déficience de l'immunité cellulaire. « Autant de raisons qui font que le programme d'éradication des maladies dans les pays en développement pourrait être remis en question. Avec 1,5 million d'enfants infectés par le VIH en Afrique, croit-on vraiment se débarrasser de la polio dans quelques années ? », se demande, à juste titre, Robin Weiss.
« Les bactéries, les virus et les protozoaires ont maintenant 37 millions de personnes infectées par le VIH à des degrés divers d'immunodéficience pour apprendre à se comporter en parasite. » Le temps pour ces micro-organismes d'acquérir des résistances aux antibiotiques ou des moyens d'échapper à la vaccination. Pour les mêmes raisons, des infections animales pourraient faire leurs premiers pas chez l'homme.
Un scénario catastrophe du chercheur britannique, auquel il convient d'ajouter la modification du mode de transmission actuel de la maladie comme cela a été observé avec la peste bubonique. Dans tous les cas et quels que soient les moyens de lutte employés, le voyage du VIH dans le corps humain laissera des traces longtemps après son éradication.

Robin Weiss, « Nature », vol. 410, 19 avril 2001, pp. 963.
* Mort. Morb. Wkly. Rep.30, 305-308 (1981).

Une vingtaine d'antirétroviraux

C'est l'approfondissement de la connaissance du cycle de réplication du VIH qui a permis aux laboratoires de recherche de développer depuis 1987 une vingtaine de médicaments antirétroviraux - disponibles toutefois exclusivement dans les pays développés. Différentes cibles thérapeutiques ont ainsi été identifiées : inhibition de l'attachement et de la pénétration du virus dans la cellule ; inhibition de la transcriptase reverse, de l'ingétrase, du provirus et de l'assemblage des protéines virales.
Les médicaments antirétroviraux sont actuellement utilisés en association (tri- et quadrithérapie), mais la grande aptitude des enzymes de réplication du VIH (transcriptase inverse, ARN polymérase...) à produire un grand nombre d'erreurs (une pour mille nucléotides copiés) représente un véritable défi à la mise au point d'antirétroviraux à action prolongée.
Le Dr Douglas Richman (La Jolla) explique que, «dans les prochaines années, il est essentiel de développer des schémas thérapeutiques afin d'améliorer l'utilisation des médicaments déjà sur le marché. En parallèle, un travail de recherche doit être entrepris afin de développer de nouvelles molécules moins toxiques, administrables en une ou deux prises par jour, limitant l'émergence de souches résistantes et agissant sur de nouvelles cibles (gag, inhibiteurs de certains récepteurs de surface du virus et des cellules infectées)».
L'infectiologue américain rappelle, enfin, que «les barrières économiques ne doivent en aucun cas exclure les pays en développement des traitements anti-VIH et que la prévention de la transmission materno-fœtale peut constituer une première étape. Cette approche permettrait en effet la mise en place de réseaux de soins aptes à prendre en charge ultérieurement des patients traités chroniquement par des antirétroviraux ».

77 essais vaccinaux et 5 écueils

« L'idéal en matière de VIH serait de disposer d'un vaccin efficace, bien toléré, à large spectre induisant une mémoire immune à long terme et une protection contre tous les sites d'infection, en particulier les muqueuses. Comme ce vaccin sera particulièrement utilisé dans des pays où le niveau de soins ne peut pas être considéré comme satisfaisant, il faudra aussi qu'il soit disponible sous une forme simple avec des vecteurs de transport facilement admistrables », explique le Dr Gary Nabel (NIH, Bethesda, Etats-Unis).
Depuis l'apparition de la maladie en 1981, 70 essais de phase I, 5 de phase II et 2 de phase III ont inclus plus de 3 500 personnes. Différentes stratégies vaccinales ont été employées individuellement ou de façon concomitante : développement d'une immunité cellulaire, humorale, stratégies vaccinales limitant la réplication virale, utilisations de vecteurs vaccinaux viraux et non viraux et de divers adjuvants. Mais aucune de ces approches ne s'est soldée par des résultats constamment positifs.
A cela le Dr Nabel donne cinq raisons : l'absence d'identification de susbtances immunogènes induisant une immunité cellulaire à large spectre et à longue durée d'action ; le manque de stratégies d'immunisation ne développaent que des anticorps neutralisants sans induction d'anticorps facilitants , le défaut d'élaboration d'un modèle immunitaire valable chez l'homme et l'animal ; la difficulté de développer un vaccin actif sur différentes souches du VIH ; enfin, les limitations à l'expérimentation animale et humaine.

Dr Catherine DESMOULINS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6901