Il avait la « phobie de la salle d’attente vide », et il allait être comblé... Un beau jour – à la fin des années 1980 sans doute – Robert Escande, un Marseillais fraîchement thésé, débarque dans le seul canton de l’Ardèche à n’avoir jamais eu de médecin… Il restera vingt ans dans ce coin reculé et hostile, peut-être parce qu’il était de ceux qui ont l’étoffe des héros. Sûrement aussi, grâce à un solide encrage familial : l’amour de ses quatre enfants, le soutien affectif et logistique de sa femme. Le livre qu’il vient de publier témoigne surtout d’un réel plaisir de soigner. Envers et contre tout. Car ce médecin de famille se trouve très vite à la tête d’une « patientèle énorme, dévouée, reconnaissante et fidèle », mais exténuante. Les aventures, du Dr Escande résument plus qu’un long discours les grandeurs et servitudes de la médecine rurale. Avec ses nombreuses anecdotes, parfois savoureuses, parfois glauques : pilote accidenté, femme accouchée inopinément, garde champêtre chutant d’une falaise, puanteur des cours de ferme, accidents de tracteurs, femme défenestrée poursuivie par un spectre, périples avec les pompiers sur des routes défoncées…
«Seule réponse à toutes les détresses »
« Les jours normaux, raconte le médecin, il fallait caser impérativement une bonne cinquantaine de consultations sans parler des visites (…) Ma tournée changeait tous les jours. Vu l’étendue des cantons et le piteux état des routes (…) un jour j’arpentais le nord de mon secteur, remettant la partie sud au lendemain. » Paré à toutes les éventualités, disponible pour toutes les urgences, Robert Escande s’était tout de même établi une règle : «pas de visite à domicile après minuit, sauf cas d’extrême urgence. » Ouf ! Seul généraliste sur le tour de garde, « seule réponse à toutes les détresses », exerçant à une cinquantaine de kilomètres du premier hôpital, Robert Escande se retrouva aussi un jour, sans remplaçant pour assurer la relève pendant ses quinze jours de congés. « J’avais lourdement sous-estimé la difficulté d’assumer seul, à des lieux de toute assistance médicale spécialisée, le suivi d’autant de malades, » reconnaît-il avec le recul. Dans un coin pareil, il ne sera pourtant jamais éligible au fameux bonus de rémunération en zone blanche, ni aux avantages attribués en ZRE ? Allez comprendre…
Difficile pourtant de ne pas attirer l’attention à la tête du plus gros cabinet de toute l’Ardèche : quatre fois plus de consultations que la moyenne, dix fois plus de visites, cent fois plus d’actes de petite chirurgie ! Robert Escande en a rapidement fait les frais. Son livre dévoile une médecine de campagne, o combien attachante, mais aux rythmes de folie. Il est aussi un plaidoyer contre la sottise. Dans ce pays ravitaillé par les corbeaux, notre généraliste a été plusieurs fois victime de la maréchaussée et jusqu’aux rumeurs les plus délétères touchant sa vie personnelle. C’est finalement un contrôleur des impôts retors qui aura eu raison de la ténacité du toubib, qui était aussi – pour son malheur – propharmacien… A demi ruiné, Robert Escande est finalement victime d’un infarctus. Réanimation, rééducation, invalidité, puis semi-retraite dans la Meuse. Fin du feuilleton… L’auteur a intitulé son livre « Médecin, quand reviendras-tu ? ». Il aurait aussi bien pu titrer : « Nous nous sommes tant aimés… »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature