CHARGÉ il y a six mois par Matignon de réfléchir à l’évolution des missions des centres hospitaliers et universitaires (« le Quotidien » du 2 décembre), le Pr Francis Giraud, sénateur UMP des Bouches-du-Rhône, vient de rendre sa copie. En terra tout sauf incognita (il a derrière lui quarante ans de carrière en pédiatrie et en génétique médicale au CHU de Marseille), le Pr Giraud a remis au Premier ministre un rapport aussi clair que concis dans lequel il affirme que, pour leur sauvegarde, les CHU – qu’il préfère appeler «CH&U», insistant ainsi sur la multiplicité de leurs missions – ont besoin «comme en 1958 (d’) une volonté politique forte».
L’ordonnance Robert Debré de 1958 n’a pas fait moins que de fonder l’hôpital moderne, et... inventer les CHU. C’est grâce à elle, rappelle le Pr Giraud, que «les CH&U ont assuré le rayonnement de la médecine française», qu’ils ont «réussi à fixer l’offre de soins dans leur espace régional et à s’y imposer comme référence médicale et scientifique» – «les patients ne sont plus obligés de “monter” à Paris pour se faire soigner comme ce fut le cas pendant bien longtemps».
L’auguste exemple n’a pas fait peur, semble-t-il, à Dominique de Villepin qui, à peine sèche l’encre des travaux du député des Bouches-du-Rhône, a chargé ses ministres de la Santé et des Solidarités, Xavier Bertrand, et à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, François Goulard, «de finaliser avant la fin du mois de septembre un plan de modernisation des centres hospitaliers et universitaires qui s’appuiera notamment sur les propositions formulées par Francis Giraud».
Navires en péril.
Des propositions qui sont au nombre de 16, et qui font suite à un constat de danger. Les CHU, «exception mondiale», sont «moroses». Aux yeux du Pr Giraud, le navire prend même l’eau de toutes parts. Sa spécificité est aujourd’hui «mal identifiée», l’ «ambiguïté» règne sur ses trois missions (soins, enseignement, recherche) et sa seule fonction de soin donne lieu à «confusion» (qu’est-ce qui relève de la proximité, du recours, de la référence ?). Pour ne rien arranger, «la mise en oeuvre de moyens mal adaptés aux attentes des CH&U devient source de contraintes nouvelles, d’incompréhension et d’exaspération». Et les fonctions de professeur d’université et de PH des CHU «se dévalorisent», conduisant les jeunes médecins à se détourner de la carrière. Si la barre n’est pas redressée, Francis Giraud craint une «banalisation» qui peut avoir des retentissements d’autant plus graves que «la qualité du système de santé est liée en grande partie au CH&U puisque les professionnels, quel que soit leur mode ou leur lieu d’exercice, y sont presque exclusivement formés».
Plusieurs évolutions expliquent le mal actuel des CHU au premier rang desquelles : l’évolution de la médecine vers plus de spécialisations. Ce mouvement a accru le poids des soins en CHU et «entraîné un déséquilibre toujours plus marqué entre le temps consacré à l’hôpital et celui réservé aux nécessités de l’enseignement». La multiplication (parfois pour des motifs politiques) du nombre des CHU, l’évolution de la recherche, l’introduction de la RTT, la fascination collective pour l’innovation technologique, les restrictions budgétaires, l’afflux des patients aux urgences, la tarification à l’activité (T2A)... : tout cela a laissé une empreinte.
Le mal par la racine.
Soucieux avant tout de clarification, Francis Giraud prend le mal par la racine. Il faut, écrit-il, «inscrire dans les textes les caractéristiques des missions spécifiques des CH&U». Car, paradoxalement, les choses sont assez mal définies. «Les CH&U, rappelle le rapport, n’ont de réalité que par une convention entre un établissement et l’université. D’un point de vue réglementaire, aucun texte depuis l’ordonnance de 1958 ne décrit spécifiquement les missions des CH&U et ne les distingue des autres établissements publics de santé.» Le Pr Giraud demande également que le Haut Comité hospitalo- universitaire qui, depuis 1991, n’existe que dans les textes, soit mis en oeuvre avec un caractère «interministériel», ce qui simplifierait les interventions de diverses « tutelles » des CHU ; il plaide pour une clarification des relations entre l’hôpital et l’université. Concernant l’assise régionale des établissements, Francis Giraud voudrait que le rayonnement des CHU soit renforcé.
Sujet de forte inquiétude pour le Pr Giraud, la recherche fait l’objet du quart de ses propositions : le rapport souhaite un regroupement de la recherche clinique (les compétences doivent être fédérées), une «évaluation» et une valorisation de cette activité ; il estime aussi qu’il faut «améliorer la situation des non-universitaires qui participent aux missions d’enseignement et de recherche». Cette disposition concerne les médecins ; elle n’est pas la seule puisque, outre qu’il prend fermement position sur le concours de l’internant réformé (voir encadré), Francis Giraud fait sienne une très forte – et très ancienne – demande des médecins hospitalo-universitaires (PU-PH) : «Bénéficier d’une retraite» sur la part hospitalière de leur salaire. «Les PU-PH qui entrent de plus en plus tard dans la carrière acceptent mal que le temps hospitalier rémunéré n’ouvre pas droit au versement d’une retraite. Cela constitue l’une des causes de la non-attractivité de la carrière», résume-t-il.
Les ECN au pilori
C'est la proposition n° 10 du Pr Giraud : il faut « revoir les modalités de l'examen classant national (ECN) ». Pourquoi ? Parce que - et le rapport ne prend pas de gants sur ce chapitre - cet examen, qui a remplacé le concours de l'internat en 2004, « ne remplit pas correctement les objectifs qui étaient attendus et contribue insuffisamment à la régulation quantitative et qualitative de la démographie médicale ».
En outre, « les étudiants ne portent d'attention qu'à la préparation de cet examen qui déterminera le choix d'une spécialité, au détriment de leur présence à l'hôpital, ce qui est très préjudiciable. Les candidats connaissent les résultats avant que la faculté valide, ou non, leur cursus du 2e cycle. Certains ne font pas le stage d'été obligatoire s'ils pensent redoubler et tenter leur chance une deuxième fois à l'ECN en espérant être mieux placés ». Cerise sur le gâteau : « Les candidats étant parfois moins nombreux que les postes à pourvoir, on peut être classé avec une copie blanche. »
La recette du sénateur des Bouches-du-Rhône ? Faire des ECN « un examen interrégional » et « limiter les possibilités de redoublement en fin de 2e cycle des études médicales ».
3 000 services, 30 000 médecins, 12 millions de consultations...
Tous ensemble, les 29 CHU français réunissent plus de 200 sites hospitaliers, près de 3 000 services ou départements, 87 000 lits et près de 10 000 places. Ils enregistrent chaque année plus de 3 millions de passages aux urgences, totalisent près de 12 millions de consultations, hospitalisent 2,2 millions de personnes en court séjour.
Ils assurent la formation médicale de 25 000 étudiants, regroupent 9 400 médecins enseignants - leurs écoles spécialisées forment plus de 25 000 élèves aux métiers de soignants, de cadres de santé, de techniciens de laboratoires.
Les CHU abritent 29 directions ou délégations à la recherche clinique, 31 centres d'investigation clinique et 11 unités de recherche clinique.
Au total, ils emploient 270 000 personnels à temps plein (dont près de 30 000 médecins et 11 500 internes, soit 20 % de l'ensemble des médecins exerçant en France).
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