NOUS N’AVONS aucune raison de nous réjouir : on peut être contre le CPE et rejeter les désordres sérieux qu’il entraîne. On peut être pour et souhaiter que le gouvernement mette un terme à une crise qui nous coûte chaque jour un peu plus cher. On peut admettre que l’exécutif ait été piégé par l’adoption précipitée du contrat première embauche et qu’il n’ait pas voulu perdre la face, et reconnaître en même temps que l’impopularité de ce contrat, qui atteint des sommets, le rend définitivement caduc.
Pourquoi M. de Villepin, mercredi dernier à l’Assemblée, disait-il qu’en cas de retrait il tirerait «naturellement toutes les conclusions nécessaires», c’est-à-dire qu’il démissionnerait, et a-t-il affirmé exactement le contraire lors de sa conférence de presse le lendemain ?
Le 31 mars, il avait forcé le président de la République à faire, devant le pays, un numéro d’équilibriste qui confinait au grotesque, et cela uniquement pour éviter la démission de M. de Villepin. La journée d’action du 4 avril a montré que l’intolérance populaire au CPE restait extrêmement répandue, pendant qu’un sondage d’opinion constatait que le Premier ministre avait perdu 16 points en quelques semaines.
Pourtant, le 6 avril, M. de Villepin continuait à vanter le bien-fondé de la mesure qu’il avait fait adopter par le Parlement. Mais on n’en est plus là ! On n’en est plus à comparer les vertus de la flexibilité et celles de la sécurité de l’emploi. Il appartient à l’exécutif de mettre un terme à la crise, de remettre la France au travail, d’en finir avec le désordre. Après quoi, gouvernants et gouvernés examineront à tête reposée le droit du travail et la réforme qu’il doit subir.
Chirac embarrassé.
Le Premier ministre ne semble pas se rendre compte qu’un malheur n’arrive jamais seul : certes, le président n’a pas voulu le désavouer, mais il est clair que la posture de M. de Villepin le gêne affreusement. Nicolas Sarkozy ne cache pas son jeu : il expose son propre programme de lutte contre le chômage et n’hésite pas à critiquer l’homme auquel il est censé obéir jusqu’en avril 2007. François Bayrou et ses amis soumettent Villepin et le gouvernement à un tir de barrage sans précédent. A l’Assemblée, les socialistes multiplient les agressions. Les syndicats vont en marmonnant aux rendez-vous avec les élus de l’UMP et on comprend leur mauvaise humeur : à quoi servent toutes ces manoeuvres dilatoires ? Du coup, les manifestants, jeunes ou camarades syndiqués, lancent un ultimatum : le CPE devra être retiré le 17 avril au plus tard.
Nous voilà bien : le Premier ministre, ayant apparemment décidé de ne pas démissionner, devra-t-il se plier au diktat de la rue ? Ou bien, encore une fois pour sauver la face, passera-t-il outre, au risque d’une explosion sociale ? Dans sa conférence de presse du 6 avril, il continuait à se justifier, en exaltant les avantages du CPE et en invitant « fermement » les syndicats à reconnaître que la flexibilité est indispensable à la lutte contre le chômage.
Mais, rappelez-vous, y avait-il mieux que le traité constitutionnel pour stimuler la construction européenne ? Pourtant, les Français ont dit non. On peut penser qu’un projet est mirifique, mais si les gens n’en veulent pas, on ne peut pas le leur enfoncer dans la gorge. C’est clair et, en même temps, c’est une règle inaliénable du fonctionnement de la démocratie.
NOUS N'EN SOMMES PLUS A EXALTER LES VERTUS DU CPE ; IL EST TEMPS DE METTRE FIN AU DESORDRE
Mourir pour le CPE ?
Ni M. Chirac ni M. de Villepin ne sauraient prétendre que le CPE leur semble d’une importance tellement vitale qu’ils mourront sur une barricade pour le défendre. Ni l’un ni l’autre ne peuvent prétendre qu’ils font abstraction de toute considération politique, l’un parce qu’il espère finir en beauté (voeu qui a bien peu de chances d’être exaucé), l’autre parce qu’il espère encore être candidat en 2007. C’est pourtant évident : le président et le Premier ministre n’ont pas vu venir le tsunami qui grondait sous les eaux profondes du grand large. Ils n’ont tiré aucune leçon des défaites récentes de la droite au pouvoir, les élections régionales, le « non » au traité constitutionnel européen, le refus du peuple français d’affronter une inéluctable mondialisation. Le règne de Chirac touche à sa fin mais, dans un pays où l’autorité soulève quolibets, sarcasmes et injures, il croit, et son Premier ministre croit, que la politique du fait accompli reste une méthode efficace.
C’est peut-être admirable de se battre encore, comme Villepin, quand on a le dos au mur. Mais il est préférable de mettre tout ce courage au service des autres, même s’ils sont hostiles : même si les lycéens et les étudiants sont responsables des manifestations et des blocages, ils en seront les premières victimes. C’est ce matin, et pas plus tard, que les cours doivent reprendre si l’on ne veut pas perdre les examens de cette année. Quand le gouvernement, pour imposer le CPE, fait perdre une année à une génération, il ne peut pas continuer à nous dire qu’il se bat pour créer des emplois.
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