C'EST EN 1949 que Jacques Villeglé, aux côtés de son ami et complice Raymond Hains, a eu pour la première fois l'idée de récupérer une affiche de la rue, déchirée et écorchée par le temps, et d'en faire une oeuvre d'art. Ce geste d'appropriation devient alors la marque de fabrique de Villeglé et relève d'une démarche à laquelle il restera attaché toute sa vie. Le principe est simple : décoller les panneaux et autres placards qui couvrent les murs des villes, les découper si besoin, puis les recadrer et les maroufler sur toile (c'est-à-dire les lisser et les appliquer sur le support). L'artiste collecte tout ce que la civilisation moderne lui offre sur papier : affiches de concerts, de cinéma ou de théâtre, publicités, tracts protestataires et, notamment, les affiches consacrées à ses amis peintres (en l'occurrence Dubuffet, dans l'exposition). Ces affiches, usées par les intempéries ou lacérées par le passant anonyme, laissent apparaître un formidable vocabulaire de signes et de référents de la culture populaire (cigarettes, pin-up, produits de grande consommation…), mais également des jeux de lettres et de mots amputés, entrelacés, distordus, des enchevêtrements de signes, des graphismes séduisants, une foule de petits détails dans lesquels l'oeil se perd…
L'affiche sublimée.
Les dimensions sont souvent colossales. Parfois, l'affiche donne l'illusion d'une perspective, une impression de profondeur. Certaines d'entre elles, épurées, sont monochromes et ne laissent plus apparaître qu'un morceau de réclame ou d'image, laissant la place à la couleur seule. Villeglé exploite les caprices du temps, de la pluie et de l'érosion qui fixent une pellicule de colle sur telle partie ou altèrent joliment les couleurs de telle autre.
Pendant les périodes troublées comme en mai 68, la lacération se fait plus rageuse que jamais, lorsque des mains contestataires ont arraché des slogans ou des visages. Cette partie de l'exposition consacrée aux affiches politiques est peut-être la plus forte du parcours. Elle nous offre une page d'histoire, dans laquelle des slogans pacifistes pour le Vietnam, des affiches du PC, de campagnes électorales, les effigies de Mitterrand ou de De Gaulle se côtoient dans un ballet de référents et d'icônes.
On pense au pop art pour les couleurs joyeuses et la présence des symboles populaires, on pense aux collages de Picasso, au dadaïsme devant tant de spontanéité, de liberté, d'anticonformisme. Villeglé a tenu pendant des années le «journal du monde de la rue». L'affiche, cette «fleur de la vie contemporaine, affirmation d'optimisme et de gaité», est sublimée par ce moissonneur audacieux.
Centre Pompidou. Paris 4e. Tél. 01.44.78.12.33. Tlj sauf mardi, de 11 h à 21 h. Entrée : 12 euros (TR : 10, 90 et 8 euros). Jusqu'au 5 janvier . À lire : Catalogue, éd. du Centre Pompidou, 350 p., 49,90 euros et « Jacques Villeglé », éd. Hazan, 159 p., 35 euros.
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