Environ 10 % de la population européenne est porteuse d'un allèle mutant du gène codant pour le récepteur CCR5 aux chimiokines, l'allèle CCR5-delta32. Cette mutation confère un avantage sélectif non négligeable puisque, à l'état homozygote, elle protège presque complètement de l'infection par le virus VIH1. En empêchant l'expression de CCR5 à la surface des cellules, la mutation delta32 bloque en effet l'entrée du VIH1 dans les cellules du système immunitaire.
Mais l'absence d'un récepteur aux chimiokines n'est pas un avantage sélectif en tant que tel. La sélection de cet allèle par l'évolution s'est donc sans doute déroulé dans un contexte particulier au cours duquel l'absence du récepteur CCR5 était devenue avantageuse.
L'allèle CCR5-delta32 est pratiquement absent dans les populations africaine, asiatique, moyen-orientale et indo-américaine. Ce qui suggère qu'il est apparu récemment en Europe. Compte tenu de sa fréquence actuelle dans les génomes européens, il ne peut pas être apparu en même temps que le VIH1 : il s'est nécessairement répandu dans la population bien avant l'arrivée du sida, probablement à la suite d'une autre épidémie mettant en jeu un agent pathogène qui a favorisé sa sélection. Il a été proposé que l'agent pathogène responsable de la sélection initiale de cet allèle soit le bacille de la peste bubonique. Selon cette hypothèse, Yersinia pestis infecterait préférentiellement les individus porteurs du gène sauvage CCR5. Les épidémies de peste qui ont frappé l'Europe au XIVe puis au XVIIe siècle auraient favorisé l'émergence de l'allèle CCR5-delta32 en ne décimant que des individus porteurs d'un autre allèle CCR5. Cette hypothèse a été largement acceptée, malgré l'absence de toute donnée la validant.
Pour Galvani et Slatkin, deux chercheurs de l'université d'Oxford, cette hypothèse est fausse : selon un modèle de génétique des populations qu'ils ont établi en partant de la date des épidémies, du nombre de décès qu'elles ont provoqués et de l'âge des individus morts de la peste, si CCR5-delta32 avait été sélectionné par Yersinia pestis, la fréquence de cet allèle dans la population actuelle ne pourrait pas dépasser 1 %. Or elle est dix fois plus importante.
Une pression sélective continue
Les auteurs ont proposé une hypothèse alternative selon laquelle c'est le virus de la variole qui serait l'agent pathogène responsable de la sélection de CCR5-delta32. La variole a continuellement tué un nombre important d'individus, en particulier des enfants, jusqu'à sa récente éradication. Variola major aurait donc pu exercer une pression sélective continue sur les individus porteurs de l'allèle CCR5-delta32.
En appliquant le même modèle que celui utilisé pour évaluer le rôle de la peste dans l'émergence de CCR5-delta32, les auteurs sont arrivés à la conclusion que Variola major pouvait effectivement être responsable de la sélection de l'allèle protégeant du VIH1. En outre, la distribution géographique des épidémies de variole et celle de la fréquence de CCR5-delta32 dans les populations sont en parfaite concordance. Enfin, le virus de la variole utilise lui aussi des récepteurs aux chimiokines pour infecter des cellules du système immunitaire.
Ce faisceau de données suggère donc de manière très convaincante que le virus de la variole est bien à l'origine de la sélection de l'allèle CCR5-delta32.
A. P. Galvani et coll., « Proc Natl Acad Sci U SA », édition en ligne avancée, à paraître prochainement sur www.pnas.org
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