On sait maintenant que les antirétroviraux à doses efficaces ne suppriment pas totalement la réplication virale, même chez des patients dont la charge virale est au-dessous du seuil détectable (< 20 copies/ml). Les cellules infectées qui ont déjà intégré le matériel génétique viral constituent des réservoirs potentiels, non seulement dans le tissu lymphoïde (TCD4+, macrophages) mais aussi dans d'autres tissus : cerveau, poumon, rein, tube digestif, cœur ou rein. Des réservoirs extracellulaires ont aussi été mis en cause : le virus est transporté à la surface de certaines cellules (lymphocytes B et cellules dendritiques) grâce à la liaison des fragments du complément du complexe immun VIH1 avec des récepteurs du complément exprimés sur les cellules.
L'un de ces récepteurs, le CD35, aussi appelé récepteur d'adhérence immunitaire, est également exprimé à la surface des érythrocytes. Ces derniers pourraient constituer un réservoir du VIH et seraient responsables de la diffusion du virus vers d'autres tissus. On sait, par exemple, que les macrophages du foie et de la rate peuvent capter les complexes immuns fixés par les érythrocytes qui peuvent ainsi se lier à d'autres complexes.
Christoph Hess et coll. ont mesuré systématiquement l'ARN viral érythrocytaire chez des patients infectés par le VIH.
Ils ont d'abord cherché à valider le procédé de purification des érythrocytes chez 17 patients. La purification par sédimentation au dextran d'un prélèvement sanguin (1 ml) permet en effet d'isoler les érythrocytes (élimination de plus de 90 % des leucocytes et d'environ 99 % des plaquettes). Le nombre de copies d'ARN érythrocytaire peut être mesuré (PCR) et comparé à l'ARN leucocytaire du surnageant. Chez un patient, il n'a pas été détecté d'ARN viral. Pour 15 des 16 autres, le nombre de copies d'ARN érythrocytaire était de 2 à 50 fois plus élevé que celui de l'ARN leucocytaire.
Les chercheurs ont ensuite vérifié, par un test immunologique, que le protocole choisi laissait intacte la liaison spécifique aux complexes immuns.
De l'ARN érythrocytaire chez 98 % des patients
L'étude a alors été élargie à 82 patients, inclus indépendamment de leur âge, de leur sexe, de l'ancienneté de l'infection, du stade de la maladie et de l'histoire clinique, de même que de leurs résultats biologiques : taux de CD4, de CD8 et charge virale plasmatique.
De l'ARN érythrocytaire a été détecté chez 98 % d'entre eux (n = 80), avec un nombre de copies corrélé à celui de l'ARN viral plasmatique.
Chez 23 de ces patients, la charge virale plasmatique était inférieure à 20 copies/ml et donc indétectable, le nombre de copies d'ARN érythrocytaire étant compris entre 20 et 82 878/ml. Pour 11 d'entre eux, cette charge était indétectable depuis six mois ou plus (0-32 mois). Les caractéristiques de ce groupe de patients ne différait pas de ceux de l'échantillon, mais les taux les plus élevés de copies étaient associés, de manière significative, à un stade plus avancé de la maladie. Le potentiel infectieux de l'ARN lié aux érythrocytes s'est révélé plus élevé que celui de l'ARN plasmatique ou leucocytaire : il est capable d'infecter une lignée cellulaire de référence (HeLaT4) au contraire des autres types d'ARN.
Chez tous les patients, une forte concentration d'anticorps anti-VIH1 spécifiques, de protéines du complément, de CD35 par érythrocytes a aussi été retrouvée, quelle que soit la charge virale.
« Du fait de la demi-vie très courte (quelques minutes) des complexes immuns associés aux érythrocytes, la détection de l'ARN sur des érythrocytes, même après une longue période de charge virale indétectable, milite en faveur du maintien d'une réplication ou d'une libération du virus chez ces patients. »
Cela expliquerait, selon les auteurs, la reprise de la réplication virale observée quelques jours ou semaines après l'arrêt des antirétroviraux. La mesure de l'ARN viral érythrocytaire permettrait de juger de l'efficacité des traitements.
Toutefois, de l'avis des éditorialistes, même si la démonstration semble convaincante, il convient de rester prudent. D'autres investigations devront établir si l'ARN érythrocytaire peut être un marqueur précoce de l'échec virologique, utile à une meilleure prise en charge thérapeutique des patients.
« Lancet », vol. 359, 29 juin 2002, pp. 2212-2213, 2230-2234.
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