Prise en charge ta rdive, manque de professionnels

VIH-sida en Gu yane : le rapport qui accuse

Publié le 19/03/2008
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«AU REGARD des critères de l'OMS, avec plus de 1% des femmes enceintes infectées par le VIH, la Guyane est en situation d'épidémie généralisée. Et ce qui frappe dans ce département français, c'est qu'on a l'impression d'être face à une épidémie plus proche de celle des pays en voie de développement que de celle de la métropole», explique François Bourdillon, membre de la commission Département français d'Amérique du CNS. Or les solutions apportées ne sont absolument pas à la hauteur de l'enjeu. «La réponse est plutôt de type métropolitain et n'est pas adaptée aux spécificités de la région», poursuit-il.

Pour la troisième fois depuis 1996, le CNS s'est penché sur la situation en Guyane. Le premier rapport (1996) qui concernait l'ensemble des départements avait notamment souligné les graves déficiences en matière d'équipement médical ; le second, de 2003, s'alarmait d'une épidémie active et incontrôlée face à laquelle aucune réponse structurée et adaptée n'était apportée. Quatre ans plus tard, la mission de 2007 a tenté d'évaluer les actions menées au regard des recommandations déjà formulées.

Le travail de la commission portait sur l'épidémie dans les trois départements, mais le cas particulier de la Guyane justifiait un rapport spécifique. Les résultats pour la Guadeloupe, Saint-Martin et la Martinique devraient être publiés dans les prochaines semaines.

Prise en charge tardive.

Par rapport à 2002, la prise en charge des patients s'est améliorée. La file active d'environ 1 200 personnes est en augmentation, de 10 % par an. Lorsque les personnes sont suivies dans la durée, les résultats sont bons (charge virale et CD4), avec, parallèlement, un recul des échecs virologiques, une baisse du nombre de cas de sida et des décès depuis 2005. Cependant, les difficultés persistent dans le suivi et à l'entrée dans le système de soins. «Le pourcentage des personnes prises en charge tardivement dépasse les 40%, avec, comme conséquence, une perte de chance évidente et un risque accru de transmission», insiste François Bourdillon. Autre point noir, les perdus de vue : en cinq ans, 50 % des personnes dépistées positives disparaissent.

Le département enregistre le plus fort niveau de prévalence de tous les départements français et une incidence deux fois plus élevée que celle d'Ile-de-France (308 contre 150 par million d'habitants), des taux «inacceptables en regard des objectifs de santé nationaux et internationaux», déplore le Pr Willy Rozenbaum, président de la commission. Car si le problème sanitaire a été clairement identifié, les obstacles dépassent largement les compétences des professionnels de santé, surtout hospitaliers, ou celles des associations qui ont contribué aux avancées de la prise en charge.

La Guyane souffre d'un manque chronique de professionnels dans le domaine de la santé, mais aussi dans le domaine social et administratif. Le nombre de médecins par habitant est faible, leur âge moyen est élevé, 50 ans. Du fait des difficultés d'adaptation, le turnover est important et, depuis l'arrêt du service militaire, il n'y a pas de service d'aide technique pour renforcer les équipes.

La crise des ressources humaines se double d'une crise sociale majeure : chômage (26,5 %), précarité, difficultés d'accès à un logement, prostitution des femmes, mais aussi des enfants, grossesses précoces, familles monoparentales. «Le discours de prévention et de sensibilisation aux soins est masqué par les difficultés sociales objectives», souligne Chantal Lebatard, membre de la commission. En outre, le déni et la stigmatisation sont massifs.

En dépit de ses difficultés, la Guyane constitue un îlot de richesse au milieu des pays pauvres de la région, comme le Surinam, le Guyana ou Haïti. La lutte contre l'immigration clandestine – politique massive d'expulsion – se fait souvent au détriment des intérêts de santé publique.

«Le VIH n'est que l'un des problèmes dans un territoire qui est objectivement écrasé de problèmes. Les pouvoirs publics ont tendance à mettre en avant cette multiplicité pour relativiser le problème du VIH ou pour légitimer leur absence de capacités d'action», déclare Pierre Mathiot, membre du CNS et directeur de sciences politiques à Lille. Entre la région, le département et l'Etat, chacun a tendance à se renvoyer la balle, estimant que la lutte contre le sida ne relève pas de sa compétence.

Innovation institutionnelle.

«C'est insupportable. Il faut un pilote dans l'avion», affirme le Pr Rozenbaum. Le modèle, selon lui, doit s'inspirer de celui des pays en développement. «En Afrique, aujourd'hui, on ne peut pas imaginer un discours publique où le sida n'a pas sa place. Il faut aussi un programme régional de lutte contre le sida comme il y a des programmes nationaux dans la plupart des pays en développement», poursuit-il. Même chose pour les comités de coordination qui regroupent tous les acteurs de la lutte contre le VIH. Pour cela, le CNS prône pour un changement de paradigme. «Il faudrait que le ministre de l'Outre-mer défende l'idée d'une expérimentation institutionnelle rendue nécessaire par la situation sanitaire», plaide Pierre Mathiot. Il faut admettre, pour le VIH, «la nécessité d'une approche dérogatoire par rapport à une conception républicaine unitaire».

Les instances de l'Etat devront, selon lui, assurer le leadership politique de la lutte qui ne pourra faire l'économie d'une coopération régionale, notamment avec les pays voisins, comme le Brésil (où les traitements sont gratuits) et le Surinam. «Même à Haïti, où la prévalence est globalement la même qu'en Guyane (2,2 %) , on a le sentiment que dans beaucoup d'endroits les choses se passent beaucoup mieux», conclut le Pr Rozenbaum.

Dépistage et service civil médical

Pour faire face à la situation d'épidémie généralisée, les stratégies de dépistage doivent être adaptée. Le CNS propose de :

Banaliser le dépistage, qui doit être proposé systématiquement aux personnes lors d'un contact avec l'offre de soins en même temps que le dépistage des autres pathologies les plus présentes en Guyane.

• Améliorer le dépistage anonyme et gratuit dans les CDAG (horaires d'ouverture tout au long de la journée) et promouvoir le dépistage dans des lieux de santé qui ne sont pas associés exclusivement au VIH.

• Recours aux tests rapides, comme le recommande l'ONUSIDA pour les zones d'épidémie généralisée.

Pour répondre au problème de démographie médicale, un service civique médical pourrait être envisagé dans un premier temps.

> Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8336