E NTRE 1992 et 1998, une étude réalisée chez 425 femmes enceintes et VIH+, réparties au hasard en deux groupes, les unes allaitant leur enfant, les autres le nourrissant au lait en poudre, avait conduit aux résultats attendus. Ces résultats, publiés dans le « JAMA » (R. Nduati et colj.« JAMA » 2000 ; 282 ; 1167-74), situaient en effet le taux de transmission du virus par l'allaitement à 16,2 % et imputaient à l'allaitement 44 % des infections acquises par les enfants du premier groupe.
Si l'on conçoit qu'il est difficile d'imposer le lait en poudre à des femmes qui n'ont pas accès à l'eau potable et que le renoncement à l'allaitement désigne à la communauté comme infectées, on comprend plus difficilement qu'un essai avec allocation au hasard ait pu se poursuivre en toute connaissance de cause jusqu'en 1998.
Une seconde analyse tirée de l'étude est pourtant publiée dans le « Lancet ». Elle concerne cette fois la mortalité maternelle durant les deux années qui ont suivi l'accouchement. Dix-huit décès maternels ont ainsi été recensés dans le groupe « allaitement », contre 6 dans le groupe « lait en poudre », soit des risques à deux ans de 10,5 % et 3,2 % respectivement.
L'écart paraît considérable et l'on est surpris de cette surmortalité chez les femmes allaitantes - ou plus exactement - de cette sous-mortalité chez les femmes n'allaitant pas, puisque la mortalité chez les femmes allaitantes est de l'ordre de grandeur attendu.
La charge virale était supérieure
Dans un éditorial, Marie-Louise Newell (Institute of Child Health, Londres), souligne diverses sources de biais dans l'étude. Ainsi, la charge virale était supérieure au moment du recrutement chez les femmes allaitantes. Le taux de transmission intra-utérine était d'ailleurs supérieur dans ce groupe. Dans le groupe « lait en poudre », les mères perdues de vue l'ont été plus tôt : les décès ont-ils tous été rapportés ?
D'autres biais possibles sont encore mentionnés, comme est soulignée la difficulté d'interprétation d'une étude réalisée « en intention de traiter ».
Au total, donc, il apparaît que la différence entre mortalité maternelle dans l'un et l'autre groupe est largement sujette à caution.
A l'origine de cette surmortalité, un mécanisme spécifique, lié à l'infection, semble hautement improbable. Un essai d'intervention avec la vitamine A, mené à Durban, dans lequel, il faut le souligner, les femmes choisissaient elles-mêmes, après information, le mode d'alimentation de leur enfant, n'a mis en évidence aucune différence de mortalité maternelle.
Reste l'hypothèse d'une malnutrition chronique de la mère, dont l'aggravation par l'allaitement accélérerait le cours de la maladie. Mais aucune surmortalité liée à l'allaitement n'a été rapportée, même lors des pires famines. Et comme le souligne Marie-Louise Newell, « si les femmes dans l'essai étaient à ce point dénutries, des questions se posent quant à l'éthique d'un programme de recherche qui ne délivre pas les soins de base aux patientes ».
Le résultat concernant l'effet délétère de l'allaitement pour les mères demande une sérieuse confirmation, et certainement pas avec les mêmes méthodes. Il reste cependant un aspect sur lequel l'étude a raison d'attirer l'attention, même s'il est indépendant du mode d'alimentation, et justement parce qu'il n'est pas entaché des biais de sélection entre groupes : la mortalité des enfants ayant perdu leur mère est huit fois supérieure à celle des autres enfants, que l'enfant soit infecté ou non. Ce résultat en dit long sur les effets induits du SIDA en Afrique.
R. Nduati et coll. « Lancet » 2001; 357 : 1651-55.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature