Prophylaxie médicamenteuse

VIH, la prévention à quel prix ?

Publié le 01/06/2012
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Faut-il traiter de façon préventive, par antirétroviraux, les sujets séronégatifs à haut risque de contamination par le VIH ? Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à franchir le pas*, la question était sur toutes les lèvres lors du dernier congrès Isheid (Marseille, 23-25 mai). Une rencontre qui a également permis de revenir sur les autres stratégies de prévention.

Crédit photo : ©GARO/PHANIE

Prise de position courageuse ou précipitation dangereuse ? Le 11 mai dernier, un comité d’experts de la FDA a donné son feu vert pour l’utilisation préventive de l’antirétroviral Truvada® (association emtricitabine / ténofovir) chez les patients séronégatifs à haut risque de contamination par le VIH (homosexuels les plus exposés, partenaires séronégatifs de couples sérodivergents mais aussi « autres individus risquant d'être infectés en raison de leurs activités sexuelles?»). Ouvrant ainsi la voie à la prophylaxie médicamenteuse dans le domaine du VIH… et à la polémique.

Car la décision américaine est loin de faire l’unanimité, même parmi les spécialistes du SIDA, comme en témoignent les débats animés qui ont eu lieu sur le sujet lors du dernier congrès Isheid*. Avec d’un côté des partisans prudents estimant indispensable d’explorer toutes les possibilités de prévention. Et de l’autre de nombreux sceptiques, à l’image du Dr Alain Lafeuillade, président du congrès, qui dénonce « un moyen absurde de faire face à la pandémie » en allant « à l’encontre des intérêts de santé publique ».

Sur le fond, tout le monde s’accorde pourtant à reconnaître que les stratégies de prévention actuelles sont insuffisantes et peinent à endiguer l’épidémie y compris dans les pays occidentaux. En France, par exemple, l’incidence des nouvelles contaminations par le VIH stagne depuis plusieurs années autour des 7?000 nouveaux cas annuels. D’où l’idée émise par certains d’utiliser les anti-rétroviraux non plus en curatif mais en préventif. À la fois en traitant de façon très précoce les patients infectés pour limiter le risque de transmission (lire p. 14). Mais aussi en proposant un traitement prophylactique pré-exposition (ou PrEP) à certains patients séronégatifs à haut risque de contamination.

Cette stratégie a été évaluée dans différentes populations à risques, avec des résultats contrastés mais plutôt positifs, comme l’a rapporté le Dr Mark Wainberg, lors d’une session du Congrès dédiée à la prévention. Dans l’étude iPrEx, réalisée aux États-Unis chez des homosexuels masculins à risque élevé d’infection, la prise quotidienne de Truvada® s’accompagne d’une réduction globale de 44 % (IC 95 : 15-63) du nombre de nouvelles infections par le VIH par rapport au placebo. Dans l’étude TDF2, menée au Botswana en population hétérosexuelle, l’effet protecteur est plus marqué avec une réduction du risque de 63 % (IC 95 : 21-83). Enfin, dans l’étude Partners PrEP conduite au sein de couples sérodivergents, la mise sous traitement du partenaire séronégatif permet une diminution du risque allant jusqu’à 73 %. En revanche, dans l’étude FEM-PrEP réalisée chez des femmes africaines séronégatives à risque élevé d’infection le traitement préventif reste sans effet.

Un « échec » expliqué notamment par un défaut d’observance puisque dans cet essai, seulement 15 à 20 % des participantes avaient des concentrations sanguines d’antirétroviraux efficaces. Ce qui montre bien que, dans la vraie vie, la PrEP peut être difficile à mettre en œuvre, et finalement très contraignante au quotidien.

« Un chèque en blanc pour les autres IST?»

Au-delà de cette question d’observance, le développement d’une offre de PrEP « en vie réelle » soulève aussi beaucoup d’interrogations quand à son impact potentiel sur?les?comportements sexuels et de prévention. Dans l’étude iPrEx, aucune modification des pratiques n’a été mise en évidence après l’instauration du traitement prophylactique. Cependant, « le risque que la PrEP encourage certains usagers à se passer plus souvent ou totalement du préservatif, à augmenter le nombre de leurs partenaires ou à choisir des pratiques plus à risque, ne peut être écarté », reconnaît le Dr Wainberg. Avec, à la clé, la crainte d’un effet délétère sur la transmission du VIH mais aussi un risque de recrudescence des autres maladies sexuellement transmissibles. A ce titre, le Dr Alain Lafeuillade dénonce « un chèque en blanc pour les autres IST ».

Le risque de favoriser l’apparition de résistances au traitement, notamment en cas d’observance aléatoire, inquiète également, même si les données des études sont là encore plutôt rassurantes. Dans iPrEx, par exemple,

deux cas d’émergence de résistance ont été rapportés mais uniquement chez des patients déjà infectés au moment de l’inclusion et ignorant leur statut. Dans ce contexte, le

Dr Wainberg propose de tester de façon systématique tous les candidats à la PrEP avant une éventuelle mise sous traitement. Tout en reconnaissant qu’un tel dépistage reste pour le moment difficile à mettre en œuvre notamment dans les pays du Sud. La possibilité de concevoir des molécules dédiées spécifiquement à la PrEP a aussi été évoquée. Mais si l’idée parait séduisante sur le papier, elle demanderait un développement de longue haleine et retarderait d’autant le recours à la PrEP.

Enfin, la PrEP soulève aussi beaucoup d’interrogations, quand à sa toxicité potentielle. Dans les essais, malgré d’importants troubles digestifs, la sécurité d’emploi a été qualifiée de satisfaisante. Mais on manque encore de recul et la question du niveau de risque, acceptable à long terme, dans une population non infectée, reste posée en particulier lors d’une administration continue.

Pour toutes ces raisons, certains auteurs proposent de privilégier des traitements prophylactiques discontinus, (PrEP intermittente), moins lourds et moins contraignants pour les patients.

Mieux encadrer les pratiques

Cette option sera testée dans l’étude Ipergay que vient de lancer en France l’Agence nationale de recherche sur le SIDA (ANRS) avec l’accord de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La preuve, que la France ne ferme pas totalement la porte à ce type de prévention. Le Conseil National du Sida (CNS) vient d’ailleurs de publier un avis sur « l’intérêt potentiel du concept de prophylaxie pré-exposition du SIDA ». Destiné à « formuler des orientations préliminaires pour encadrer les usages de la PrEP en France », ce document souligne que, dans l’Hexagone, « l’offre de PrEP devra être précisément ciblée ». Compte tenu des paramètres épidémiologiques, « les homosexuels masculins ayant des pratiques particulièrement à risque constituent le principal public cible » . Par ailleurs, tout en reconnaissant que la PreP « élargit la palette des outils de prévention disponibles », le CNS souligne qu’elle « devra s’inscrire dans une approche globale qui combine la promotion des différents moyens de prévention, le dépistage et les différents usages des traitements ».

Pour le moment en France, aucune demande d’AMM dans l’indication PrEP n'a été déposée. Mais, déjà, « certains patients y recourent de leur propre chef?», alerte le Dr Patricia Enel du Corevih de Marseille qui voit donc plutôt d’un bon œil une éventuelle reconnaissance officielle qui permettrait de mieux encadrer les pratiques.

*International Symposium HIV & Emerging Infectious Diseases.
Bénédicte Gatin

Source : lequotidiendumedecin.fr