Victimologie : le CHU de Bordeaux en exemple pour l'Europe

Publié le 16/10/2003
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Doté d'un centre d'accueil en urgence des victimes d'agressions (CAUVA) depuis 1999, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux vient d'obtenir un financement de la Commission de Bruxelles, à la suite d'un appel à projets européens portant sur la prévention de la violence envers les enfants, les adolescents et les femmes.

Appelé DAPHNE, le programme vise à créer un réseau transnational et multidisciplinaire de prévention et de lutte contre la violence, appuyé notamment sur le concept du CAUVA, en liaison avec les instituts médico-légaux de Hambourg et de Liège et cinq partenaires associés : Toulouse, Vienne en Autriche, et Cologne, Leipzig et Essen en Allemagne. Il s'agit de dresser à l'échelle de l'Europe un profil des agressions, des agresseurs et des victimes.

La victime au coeur du dispositif

Jusqu'à présent, la gestion des causes et des conséquences de la maltraitance envers les femmes, les adolescents et les enfants a été quasi inexistante, faute d'indicateurs fiables mesurant l'ampleur des violences et leurs retombées sur les victimes et leur famille, et en raison de l'absence d'information et de communication entre professionnels et grand public.
A Bordeaux, en revanche, on sait faire. Le CAUVA, rattaché au service de médecine légale dirigé par le Pr Sophie Gromb, a quatre années d'expérience. Il a la particularité de placer la victime au centre du dispositif, de telle sorte qu'une équipe de médecins urgentistes, de médecins légistes, de psychologues, de représentants de la justice, d'assistantes sociales, ainsi que les services de police ou de gendarmerie rencontrent la personne violentée sur le même lieu. Toute victime passe d'abord aux urgences, où les personnels ont suivi une formation. Si elle ne relève pas d'une opération chirurgicale ou des soins lourds, elle est adressée au CAUVA, dont les locaux sont attenants aux urgences, où il y a un médecin de permanence 24 heures sur 24. Après examen médical, a lieu un entretien avec le médecin, un psychologue et une assistante sociale.
La police est appelée à venir sur place dès lors que la personne souhaite porter plainte. Dans le cas contraire, on ouvre un dossier, dit conservatoire, comportant des données médico-légales, psychologiques et sociales, qui permettra à la victime, dans les trois ans, de revenir sur son refus de saisir la justice. Quelques heures plus tard, le patient quitte l'hôpital : il est soit assisté d'une aide psychologique, soit orienté vers un soutien en médecine de ville.
Le CAUVA de Bordeaux a pris en charge 803 femmes en 2000, 1 410 en 2001 et 1 409 en 2002 (plus 1 367 hommes). Cette dernière année, 71 % des victimes étaient âgées de 19 à 60 ans, 14 % de moins de 15 ans, 9 % de 15 à 18 ans et 6 % de plus de 60 ans. De janvier 2000 à août 2003, le centre a accueilli 1 685 jeunes de moins de 18 ans, dont 1 495 victimes de violences volontaires.

Un guide européen des bonnes pratiques

Sans CAUVA, la victime d'agression subit inéluctablement une « victimisation secondaire » résultant d'un parcours du combattant qui la conduit du cabinet du médecin à celui d'un psychologue, en passant par le commissariat, les services sociaux, voire le tribunal. Le CAUVA est donc, reconnu comme une référence en matière de victimologie, et, à ce titre, la Communauté européenne permet au CHU de Bordeaux de diffuser son expérience et son savoir-faire, mais aussi de s'ouvrir à d'autres types de structure de prise en charge de victimes afin de collecter et d'échanger les meilleures pratiques, tout cela au bénéfice direct des patients.
Le projet européen DAPHNE, aura donc le CAUVA de Bordeaux pour coordinateur et, pendant un an, on fera un état des lieux de la violence grâce à la mise en place du logiciel bordelais chez les différents partenaires du projet. En même temps, des échanges d'information et de pratiques fondées sur l'expérience de chaque partenaire auront lieu lors de rencontres trimestrielles, tandis que des actions de sensibilisation en matière de prévention et de lutte contre toutes les formes de violence se dérouleront dans les écoles de magistrature, les établissements scolaires, les entreprises et les foyers. Enfin, un guide européen des bonnes pratiques sera élaboré, et l'année DAPHNE s'achèvera, dans le courant du second semestre 2004, par la tenue des 1res Journées européennes de victimologie, à Bordeaux.

Philippe ROY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7406