Idées
Une partie importante du livre consiste à recenser les hommes qui ont fait le premier Vichy, leur famille de pensée, les réseaux qu'ils constituent. On y trouve en bonne place les familles maurassienne, royaliste, réactionnaire et nationaliste, les représentants d'une droite plus libérale, et, beaucoup moins noble, un ramassis de ligues à forte coloration populiste et antisémite, tel le célèbre PPF fondé le 28 juin 1936, où s'agrègent d'anciens communistes, comme Jacques Doriot, des ex-Croix-de-Feu, comme Pierre Pucheu, et des intellectuels tels Jacques Benoist-Méchin, Pierre Drieu La Rochelle ou Bertrand de Jouvenel.
On ne cachera pas une certaine fatigue face à une pulvérulence de noms et d'initiales* que l'auteur verse sur nous pendant des dizaines de pages, mais n'est-ce pas la loi du genre, et cela permet de mettre en place une extraordinaire toile d'araignée des familles de la Grande Révolution nationale.
Ce que Jérôme Cotillon montre très bien, c'est l'importance des vichystes de la première heure tentés par la Résistance, rejetant la dérive collaborationniste et essayant de « rompre avec un régime dont ils tentent de détacher l'image du chef de l'Etat » (p. 48). C'est avec finesse qu'il analyse, en outre, les mécanismes de l'épuration et de l'amnistie, des fonctionnements très sélectifs, dont la sévérité s'amenuise assez vite avec le temps, et qui, finalement, épargnera totalement universitaires et écrivains collaborationnistes**.
Dès 1947, les fidèles du Maréchal, désormais exilé à l'île d'Yeu, redeviennent actifs. Un de leurs combats favoris est la protection et la réhabilitation des épurés. En 1947 naît le Comité français pour la défense des droits de l'homme (CFDDH) ; sous cette appellation anodine se tient un militantisme pour défendre « les victimes de l'Epuration » et promulguer le vote d'une loi d'amnistie générale. L'auteur montre bien comment vont se tisser de nombreux réseaux, masqués d'apolitisme, effrayés à l'idée de tomber sous le coup de juridictions communistes. Ainsi un crypto-pétainisme redevient actif dans les sphères où chacun reconnaît les siens, et dont les plus beaux fleurons sont l'Académie française et la hiérarchie catholique, qui, par exemple, protégea si longtemps Paul Touvier.
Jérôme Cotillon s'est manifestement attaché à distinguer, dans cette période des « années noires », un premier Vichy qui va du 10 juillet 1940 au retour de Laval le 18 avril 1942, et son dévoiement lorsque la France s'enfonce dans le fascisme, après l'invasion, le 11 novembre 1942, de la zone non occupée par les Allemands. Il en résulte deux familles de pensée, après la guerre, et une « rupture épistémologique » entre les deux.
Si la seconde mène à un néofascisme, avec Poujade, Jeune Nation et le Front national, la première conduit à un néovichysme de réseaux et connivences. Si les premiers sont partisans d'une dérive autoritaire, avec ses composantes xénophobes et racistes, les seconds ne seraient finalement coupables que d'avoir trop aimé le gentil Maréchal.
Armand Colin, l'Histoire au présent, 250 p., 20 euros.
* Un index récapitulant l'ensemble de tous les sigles eut vraiment été souhaitable.
** En ce qui concerne les tribunaux de l'Epuration : dans 73 501 cas, un non-lieu ou un acquittement fut prononcé, soit 46 % du total. 26 289 peines de prison ou de réclusion (16,5 % des dossiers). 7 037 condamnations à mort (4 %), 767 effectivement exécutées, soit 11 % des peines de mort prononcées.
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