Pourquoi revisiter les classiques si l’intention ne serait pas à chaque fois de tester leur proximité entre eux et nous, de vérifier la permanence des émotions et des passions au-delà du temps ? Il ne se serait donc rien passé entre Louis XIV et François Hollande pour que le contemporain s’étonne d’une proximité avec Alceste ou Philinte à l’issue d’une représentation du Misanthrope à la Comédie-Française, ou de cette cartographie du sentiment amoureux dessinée par Madame de Lafayette dont le lecteur dispose enfin des oeuvres complètes fiables grâce à la Bibliothèque de la Pléiade. Versailles, loin de nous impressionner ou de nous irriter serait devenu notre cour de récréation… les questions sont les mêmes. Simplement, au fil du temps, les réponses divergent. Certes, un récent président de la République réduit à la qualification d’homme politique par Camille Esmein-Sarrazin dans sa préface au volume de la Pléiade a relancé le débat. La Princesse de Clèves avait été érigée comme le symbole d’une caste protégeant ses privilèges ou les reproduisant. La culture remplaçait ici le blason. Une aristocratie se serait reconstruite sans égard pour les valeurs de 1789. Le démenti a été cinglant avec une floraison d’adaptations et de nouvelles lectures. « Touche pas à ma princesse », ont alors répliqué les nouvelles générations. La lecture pourtant n’est pas si aisée, surtout dans la première partie avec cette immersion dans la Cour de Henri II, présentée comme l’excellence du raffinement à la française. Faudrait-il voir dans Madame de Lafayette la première de nos déclinistes ? Mais peu à peu, grâce à ce style qui conjugue l’hyperbole à la litote décrite comme l’art de la sourdine, selon l’expression de Leo Spitzer reprise dans la notice, le lecteur est happé par la naissance de cette passion et son désastre annoncé. Meetic est peut-être à des années-lumière de La Princesse de Clèves. Mais que dissimulent ce nouveau vertige, cette consommation fast-food du sexe ? L’ivresse des sens dans la simple promesse ou la réalisation est toujours au rendez-vous.
Quant au Misanthrope, ses contradictions ne cessent de nous interroger. Pourquoi fuir le monde afin de ne pas trahir ses convictions et se laisser séduire par Célimène, incarnation de la futilité et d’une certaine « société du spectacle », L’amoureuse d’Alceste ne partage pas les affres de la princesse de Clèves. Elle donne des billets à ses soupirants sans en mesurer le danger. Le prix en sera élevé pour la jeune égérie. Quant à Alceste, il ne s’en relèvera pas. Dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger, la jeunesse domine la distribution. Et tient lieu de programme. Elle incarne la modernité de la pièce. Alceste, pour sa part, promène sa dépression. Sa mélancolie se traduit par quelques notes de piano. Tchekhov rode. Serait-ce le parfum de la fin d’un monde ?
Madame de Lafayette, œuvres, bibliothèque de la Pléiade. 60 euros jusqu’au 30 juin 2014.
Le Misanthrope de Molière, Comédie-Française jusqu’au 17 juillet 2014.
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