Le TEMPS DE LA MEDECINE
LORS D'UN colloque organisé à Paris en 1999, le Pr Jean-François Trappe (institut de recherche pour le développement, Dakar) rappelait que le climat est un des facteurs essentiels qui déterminent la répartition géographique et l'épidémiologie des maladies virales, bactériennes et parasitaires à transmission vectorielle (1). Les vecteurs à sang froid, moustiques, tiques et phlébotomes, sont, en effet, sensibles aux effets directs - température, pluviométrie et vents - et indirects du climat, précise l'OMS. De nombreux scientifiques évoquent ainsi, parmi les conséquences possibles du changement climatique, l'extension géographique des infections transmises par ces vecteurs et l'augmentation de leur prévalence.
On dispose déjà de preuves de l'impact, sur l'épidémiologie de certaines de ces maladies, d'El Niño, un phénomène climatique affectant l'hémisphère Sud et responsable de sécheresses, de pluies diluviennes, de cyclones... Ses conséquences sanitaires sont confirmées par une analyse récente de la littérature qui montre l'existence d'une augmentation significative du risque de paludisme dans des zones géographiques où sont apparues des anomalies climatiques liées au cycle El Niño Southern Oscillation (2). En revanche, les preuves de l'effet de ENSO sur les autres maladies transmises par les moustiques, comme la dengue, et par les rongeurs, sont moins nettes. Ces observations concernent essentiellement les zones tropicales. Qu'en est-il du risque d'apparition ou de résurgence de ces infections dans les régions tempérées ?
Moustiques
Un certain nombre d'espèces, en particulier de moustiques, pourraient s'adapter en Europe, surtout dans le sud du continent, explique au « Quotidien » le Pr Philippe Brouqui (CNRS UPRESA 6020, faculté de médecine, Marseille). Plus précisément, pour le Pr François Rodhain (Institut Pasteur, Paris), les maladies vectorielles susceptibles d'être introduites en France à cause du changement climatique sont le paludisme, dont on sait que la transmission est très sensible au climat et aux conditions atmosphériques, mais aussi les infections transmises par les moustiques Aedes albopictus et Aedes aegypti (dengue, fièvre jaune) et la peste équine, transmise par Culicoides imicola (3).
A propos de ce diptère hématophage subtropical, en juillet 2002, la direction générale de l'Alimentation s'était inquiétée auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) de sa présence à une quarantaine de kilomètres de la frontière franco-italienne. Dans une étude publiée l'année précédente, des chercheurs britanniques prévoyaient que, dans des conditions normales, C. imicola pourrait s'étendre en Espagne, en Grèce et en Italie, et gagner certaines régions d'Albanie, de Yougoslavie, de Bosnie et de Croatie (4). En cas de réchauffement de la planète, cette extension pourrait même être encore plus large en Europe.
A l'heure actuelle, explique Stéphan Zientara (unité de virologie des équidés et infections virales émergentes et réémergentes, AFFSA, Maisons-Alfort), « le vecteur est présent en Espagne, en Italie et en Corse, mais pas dans le reste de la France ». La possibilité d'une arrivée de la maladie sur le continent ne doit toutefois pas être exclue, comme le prouve l'exemple de l'Espagne : une épidémie de peste équine s'y est développée en 1989 après l'arrivée, au zoo de Madrid, d'un zèbre infecté asymptomatique en provenance de Namibie. L'épidémie a ensuite gagné le Portugal, puis a retraversé la Méditerranée, et s'est propagée au Maroc.
La prudence reste d'autant plus de mise qu'une autre zoonose est déjà réapparue en Corse en 2000, onze ans après son éradication. Il s'agit de la fièvre catarrhale du mouton, due à un virus proche de celui de la peste équine transmis par des culicoïdes, dont C. imicola. « C'est l'exemple typique d'une maladie vectorielle réintroduite », commente Stéphan Zientara. Si elles sont sans danger pour l'homme, ces deux maladies peuvent avoir une incidence économique importante.
Le paludisme
En ce qui concerne les maladies vectorielles humaines, « les anophèles qui transmettent le paludisme ne rencontrent pas pour l'instant des conditions climatiques suffisamment bonnes pour pouvoir s'adapter à notre environnement », souligne le Pr Brouqui. Jusqu'à présent, seule a été constatée « une survie de quelques jours de moustiques transportés à partir des pays chauds et qui ont rencontré des conditions favorables temporaires », expliquant les rares cas de paludisme aéroportuaires décrits en région parisienne et dans d'autres villes européennes et américaines. Mais ces conditions ne perdurent pas assez longtemps pour permettent le cycle complet du parasite. L'absence de poussée épidémique à partir de ces cas, tant en France que dans les autres pays touchés, en est la preuve. Si l'on considère les projections faites par une équipe sud-africaine sur l'effet potentiel du changement climatique, ajoute le Pr Martin Danis (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris), « il faudrait des élévations extrêmement importantes des températures et de l'humidité en France pour que Plasmodium falciparum s'y réinstalle durablement » : 32 jours à 19,5 °C en permanence sont nécessaires pour le développement de sporozoïtes infectants (5). La résurgence du paludisme dans notre pays est donc « extrêmement peu probable », compte tenu de l'augmentation de température de 0,5 °C tous les dix à vingt ans évoquée par les tenants du réchauffement de la planète. Et ce d'autant que la température n'est qu'un des multiples facteurs impliqués dans les épidémies de maladies vectorielles. La pluie est également importante et l'évolution climatique pourrait même avoir un effet bénéfique sur la transmission du paludisme. Les auteurs sud-africains prévoient ainsi une diminution du nombre de cas au Mali du fait de la sécheresse associée à l'élévation des températures.
« Le phénomène est tout autre pour les vecteurs déjà adaptés aux conditions de vie compatibles avec nos températures, comme A. Albopictus et A. Aegypti , qui ont des capacités d'adaptation relativement importantes », dit le Pr Brouqui. Ces espèces peuvent donc faire souche dans les régions aux climats les plus chauds du bassin méditerranéen. Aedes albopictus s'est déjà installé en Albanie et en Italie. En France métropolitaine, il a été identifié pour la première fois en octobre 1999 dans un village de l'Orne en Basse-Normandie et à Vienne en Poitou-Charentes (6). Une équipe de l'Institut Pasteur, qui a testé la susceptibilité du moustique présent en Albanie au virus de la dengue de type 2, conclut qu'il pourrait lui servir de vecteur (7). Cependant, la dengue ne peut être transmise par ces moustiques que s'il y a à la fois un nombre important de sujets virémiques et une grande quantité de moustiques adaptés. Or ces conditions ne sont pas réunies dans nos régions. De plus, précise le Pr Danis, A. albopictus est un très mauvais vecteur de la dengue et, à ce jour, aucun cas de dengue d'importation n'a été répertorié en France. Un groupe d'experts du comité des maladies liées aux voyages et d'importation a néanmoins recommandé la désinsectisation des avions en provenance des zones d'endémie de dengue, y compris les départements d'outre-mer.
En période chaude
De l'avis du Pr Brouqui, la réapparition de ces maladies ne semble donc pas pour demain, ni pour « les cinquante ou cent prochaines années », voire plus. « On peut néanmoins penser que certaines périodes chaudes, comme lors de l'été dernier, puissent être à l'origine d'une maintenance d'agents infectieux non habituels. » C'est ce qui s'est passé avec le virus du Nil occidental (VNO), à l'origine de 7 cas d'infections humaines dans le Var en août dernier, alors que les derniers cas humains connus ont été diagnostiqués en Camargue au début des années 1960.
Au Canada, où le VNO pose un problème beaucoup plus important qu'en France, « son introduction, en 1999, fut un hasard, sans lien avec le climat », explique au « Quotidien » le Pr Dominique Charron (centre de prévention et de contrôle des maladies infectieuses, direction générale de la Santé publique et de la Santé de la population, Santé Canada). En revanche, chaque été, son activité est liée aux conditions météorologiques. « Au printemps, les moustiques qui ont survécu l'hiver ainsi que ceux qui muent à cette période commencent à transmettre l'infection parmi les oiseaux (ils ne piquent pas les humains). L'activité des moustiques et la transmission du virus sont nettement liées à la température. Enfin, d'autres espèces de moustiques, qui piquent les oiseaux et les mammifères, réussissent à transmettre le VNO aux humains, aux chevaux et aux autres mammifères. » Si les projections climatiques pour ce pays - températures plus modérées, surtout l'hiver - se concrétisent, la survie des moustiques pourrait être améliorée. On peut alors s'attendre à une modification de l'épidémiologie des infections à VNO dans le pays.
Enfin, le Pr Charron fait remarquer que le changement climatique n'est pas le seul facteur susceptible de favoriser une résurgence des maladies tropicales dans les pays tempérés. Les épidémies de ces maladies dans les pays tropicaux, les déplacements à l'étranger, l'immigration, les changements écologiques outre-mer, l'évolution des micro-organismes et leur résistance aux traitements anti-infectieux peuvent aussi jouer un rôle.
(1) « Méd Mal Infect » 1999 ; 29 : 296-300.
(2) Kovats RS et al. « Lancet » 2003 ; 362(9394) :1481-9.
(3) Rodhain F. Impacts sur la santé : le cas des maladies à vecteurs. Brochure de la Mission interministérielle de l'effet de serre.1999.
(4) Wittmann EJ et al. Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 2001, 20 (3), 731-40.
(5) Tanser F et al. « Lancet » 2003 ; 362(9388) : 1792-8.
(6) Schaffner F, Karch S. « C R Acad Sci III ». 2000 ; 323(4) : 373-5.
(7) Vazeille-Falcoz M et al. « J Am Mosq Control Assoc » 1999 ; 15(4) : 475-8.
Une riposte rapide
Si Plasmodium vivax se réinstallait en France, il pourrait être éradiqué assez rapidement, assure le Pr Danis. On dispose de systèmes de surveillance et d'alerte, dont le bon fonctionnement a été confirmé pour les cas aéroportuaires. Le paludisme autochtone fait partie des maladies à déclaration obligatoire et, dès qu'un cas est signalé, une enquête est immédiatement lancée. « La transmission de la parasitose serait très vite bloquée, avant qu'elle n'ait le temps de s'installer » ; contrairement aux pays subtropicaux où les systèmes de santé publique sont moins performants. Par exemple, lors de l'épidémie de paludisme survenue sur les hauts plateaux de Madagascar en 1988, il a fallu attendre deux ou trois ans de montée progressive des décès pour que la mobilisation, notamment de la communauté internationale, soit suffisante pour faire régresser la maladie.
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