EXISTE-T-IL un moyen d'apporter une réponse judiciaire, autre que le non-lieu, la relaxe ou l'acquittement, à la souffrance d'une personne gravement blessée à coups de couteau par un individu déclaré irresponsable en raison de son état mental ? En même temps, peut-on renforcer le contrôle médical de l'auteur de ces faits, qualifié de dangereux ? Pour les Drs Bernard Cordier et Daniel Zagury, psychiatres, ainsi que pour trois magistrats, un responsable d'association de victimes, et un avocat, appelés par le garde des Sceaux à se livrer une réflexion sur ces questions, l'idée d'une comparution des malades mentaux serait une solution au « déni de justice » ressenti cruellement par les victimes et leurs familles. Ils proposent que les personnes irresponsables se retrouvent devant une juridiction spéciale.
Il ne s'agit pas de déroger au principe juridique selon lequel on « ne juge pas les fous », mais de faire en sorte que les procédures les concernant s'achèvent par une « décision juridictionnelle » et non plus par un non-lieu. « Cette décision porterait à la fois sur la réalité des faits commis, sur l'irresponsabilité médicalement constatée de leur auteur, et fixerait les dommages et intérêts dus aux victimes », explique le ministère de la Justice. Et la même audience publique statuerait sur les mesures à développer après un internement psychiatrique.
En ce qui concerne la réparation, les experts jugent nécessaire l'intervention de la formation ad hoc, de manière à « limiter les recours procéduraux à la charge des victimes ». Quant au suivi du malade mental, ils évoquent une « sortie sous contrôle thérapeutique » pour la personne hospitalisée d'office ; sortie qui dépend déjà d'expertises concordantes de deux psychiatres. Concrètement, la juridiction pourrait imposer à l'auteur des faits de ne pas rencontrer les victimes, de ne pas porter d'arme et de ne pas se rendre dans certains lieux. Ces obligations, d'une durée de vingt ans, ne seraient applicables qu'après expertise, et associées à des sanctions en cas d'infraction. Enfin, la levée de l'hospitalisation d'office devrait être signalée aux victimes « à leur demande ».
Magistrats réservés, avocats divisés.
Dans tous les cas, la comparution de l'auteur des faits devant la nouvelle juridiction « ne serait possible que si son état le permet ». Jusqu'à présent, lorsqu'il est reconnu irresponsable (art. 122-1 du code pénal), les poursuites pénales s'éteignent immédiatement et un non-lieu est prononcé. Or, c'est difficile à accepter pour les victimes et leurs familles, qui ont le sentiment que le débat judiciaire et la réalité de faits pourtant établis sont purement et simplement escamotés, souligne la Chancellerie. Aussi, à la suite des conclusions des experts, Dominique Perben a lancé, le 23 décembre, « une vaste consultation auprès des professionnels de la justice, de la médecine et auprès d'associations de victimes ».
Sans plus attendre, les deux principaux syndicats de magistrats ont exprimé de fortes réserves sur la possibilité de « procès » pour les malades mentaux. « Un système qui reviendrait à instituer une espèce d'"audience de deuil" pour les victimes ou leurs familles me semble extrêmement difficile à mettre en place. Je ne suis pas sûr qu'une telle loi serait constitutionnelle, compte tenu des principes généraux qui gouvernent le droit pénal, en particulier l'élément intentionnel de l'infraction », déclare Bruno Thouzellier, de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire et modéré). Comme l'USM, le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) décèle « un bouleversement du procès pénal dont l'objectif est normalement de faire juger par la société une personne qui a enfreint une règle sociale ». « Un deuil psychologique ne relève pas de la justice. Alors que nous sommes déjà surchargés, on nous mobilise pour une affaire qui n' a aucun enjeu puisque l'on sait par avance que ce sera une relaxe. Pour les dommages-intérêts, l'audience civile existe », estime Julie Ledard-Mouty, vice-présidente du SM.
Chez les avocats, les opinions sont plus diverses. « Je suis réservé. C'est toute la pédagogie du procès pénal qui est en cause, il faut que la personne comprenne pourquoi elle est là. Je n'aime pas cette stigmatisation des malades mentaux », confie Bernard Chambel, président de la Conférence des bâtonniers, qui représente les 26 000 avocats de province. Deux grands pénalistes, Jean-Louis Pelletier et Henri Leclerc, sont, pour leur part, plus nuancés. « J'ai souvent été confronté au désarroi des familles. Il y aura lors de cette audience une culpabilité qui sera décidée. Cela me paraît un palliatif raisonnable, tout dépend de la façon dont l'audience sera organisée », dit Me Pelletier.
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