« La France est complètement larguée en matière de recherche médicale », affirmait en décembre 2010 le Pr Philipe Éven dans un pamphlet intitulé La recherche biomédicale en danger*. Au-delà de l’outrance, le retard français a depuis longtemps été acté. Dans une étude de benchmarking qui porte sur les années 1994-1999 et publiée par l’Inserm en 2004, la France se plaçait derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. La position moyenne de la France s’expliquait alors davantage « par la disparité des performances qu’à des capacités globalement médiocres ». Quant aux chercheurs, ils émigrent de plus en plus aux États-Unis, terre d’accueil privilégiée. Selon une étude de l’Institut Montaigne publiée en 2010, moins de 2% des chercheurs français travaillent désormais sur le sol américain. Mais leur nombre tend à augmenter régulièrement. Entre 1985 et 2008, 2 745 Français ont soutenu leur doctorat de l’autre côté de l’Atlantique. 70% y sont restés. Faute d’éviter la fuite des cerveaux, la France dispose-t-elle des ressources pour être présente sur tous les secteurs ? Peut-elle rivaliser avec les acteurs traditionnels et en même temps affronter la concurrence avec les pays émergents ? La Chine en biologie moléculaire est devenue le premier pays au monde pour le dépôt de brevets.
En réponse, le quinquennat de Nicolas Sarkozy marque une rupture et dessine bien une autre politique. Elle est articulée autour de trois axes majeurs : concentrer les budgets au sein des équipes déjà les plus performantes avec donc une prime versée aux meilleurs ; coordonner les efforts et moyens par la création de nouvelles institutions, favoriser le partenariat public-privé. Et c’est bien un des héritiers de Philipe Éven, le Pr Arnold Munnich aujourd’hui à l’Elysée conseiller pour la recherche biomédicale et la santé, qui a défini et mis au point la riposte. Aujourd’hui, la recherche n’est donc plus un instrument au service d’une politique d’aménagement du territoire. Chaque département n’a pas vocation à accueillir une université. En témoigne la création des instituts hospitalo-universitaires (IHU). Paris en a recueilli trois sur six, Strasbourg, Marseille et Bordeaux accueillant donc les trois autres. Les sommes distribuées sont loin d’être négligeables. Elles s’élèvent à 350 millions d’euros, sans compter les sommes placées qui rapportent des intérêts.
Gare aux perdants
Au-delà de la perte de budgets importants, il y aussi le sentiment pas toujours reconnu d’une relégation sur le plan scientifique. En parallèle aux IHU, d’autres labels ont été distribués. Citons le Labex qui a distingué 100 laboratoires d’excellence ou les Idex, « Initiatives d’excellence » qui doit permettre de faire émerger en France cinq à dix pôles pluridisciplinaires d’excellence d’enseignement supérieur et de recherche de rang mondial. Si le projet porté par le président Axel Kahn a bien été retenu le 6 novembre dernier par le jury international présidé par le Pr Jean-Marc Rapp, il en interroge les présupposés (Cf. entretien p.20). Enfin, le lancement de cohortes, enjeu essentiel en santé publique où la France accuse un retard reconnu par tous, a bénéficié de financement spécifique.
Au-delà de la sélection des plus performants, la coordination des thématiques retenues a fait l’objet d’un traitement particulier. La création en 2009 de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) apparaît bien comme un acte fondateur. Elle s’appuie sur les organismes de recherche nationaux, l’Institut Pasteur, les centres hospitaliers universitaires.
Décloisonnement
Le partenariat avec l’industrie privée est clairement affiché. Le temps du cloisonnement entre recherche fondamentale et appliquée est révolu. Place à la recherche translationnelle qui se décline désormais dans tous les projets de recherche. La recherche est bien un continuum où les innovations de demain s’élaborent grâce aux travaux menés en science fondamentale. En témoigne la création de start-up et le consensus partagé sur cette question entre la gauche et la droite. Puisque la France « est en quasi-faillite », la relève du financement doit être apportée par des sponsors particuliers. La course aux dons est devenue pour tous les chercheurs un parcours d’obstacles obligé.
Cette course au financement privé à l’instar du modèle américain est au cœur même du projet de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) installé au sein du groupe hospitalier de la Pitié-Salpétrière. Lors de l’inauguration se pressaient ainsi des personnalités de toute tendance qui se félicitaient du caractère novateur du projet. Grâce à la mobilisation des acteurs privés, cet institut a été édifié en un temps record. Revers de la médaille, c’est aussi sa grande fragilité. En cas de crise économique majeure, les fonds promis seront-ils toujours au rendez-vous ? Si la politique a bien joué un rôle majeur au cours des dernières années pour mettre en œuvre une nouvelle organisation, elle est désormais sous le contrôle de l’économique. Pour le meilleur ou pour le pire…
*Editions le Cherche Midi.
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