C'EST À PARTIR des données issues de l'enquête américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) que la polémique a, semble-t-il, commencé. Plus de 20 000 adultes représentatifs de la population américaine y ont participé ; 11 348 d'entre eux ont bénéficié d'un examen médical et ont rempli un questionnaire sur leur consommation au cours des 24 heures précédentes. L'inclusion a eu lieu entre 1971 et 1975. Leur statut vital a été recueilli en 1992. L'analyse a mis en évidence une relation inverse, statistiquement significative, entre consommation de sel et mortalité globale, mais aussi mortalité d'origine cardio-vasculaire. Malgré les questions méthodologiques posées par cette étude observationnelle, le débat était lancé et repris de façon « passionnelle » par certains. Et les résultats des études sur le rôle du sel comme facteur de risque ont fait l'objet d'interprétation différente. En témoigne le débat publié dans la revue « NDT » (Nephrologic Dialysis Transplantation).
Le Pr Albert Mimran, coauteur de l'un des deux articles, fait le point sur ce qui est acquis et sur les données qui méritent encore confirmation. La relation entre consommation de sel et pression artérielle est bien établie. Une étude internationale (1) a montré la relation entre la natriurèse des 24 heures (le meilleur témoin de la consommation de sel), les chiffres de pression artérielle et la prévalence de l'HTA. En revanche, dans une population de sujets normotendus et hypertendus, une diminution modérée (de 8,8 à 6 g/j) des apports sodés n'entraîne pas, comme on aurait pu le penser, une baisse significative de la PA, selon les résultats d'une étude publiée en 2001 (2). Néanmoins , une méta-analyse (3) met en évidence une diminution des chiffres tensionnels de 8/4,3 mmHg chez les sujets hypertendus qui réduisent de 40 mmol/j leur consommation de sel, sans relation entre l'importance de la baisse des apports sodés et celle de la PA. Dans cette métaanalyse, la réduction du sel n'a pas d'effet sur la PA chez les sujets normotendus.
Un facteur de risque indépendant.
L'excès de sel est-il pour autant néfaste pour la santé ? C'est l'étude finlandaise de Tuomiletho et coll. (4) qui en a apporté la preuve, explique le Pr Mimran. Il s'agit d'une étude prospective sur 1 173 hommes et 1 263 femmes âgés de 25 à 64 ans. Elle montre qu'une augmentation de 100 mmol de la natriurèse est associée à une hausse de 45 % de la mortalité cardio-vasculaire. L'incidence des accidents coronaires aigus s'accroÎt avec l'augmentation de l'excrétion urinaire de sodium. Pour les auteurs, ces données démontrent qu'une consommation élevée de sodium est un facteur prédictif d'accidents coronaires et de mortalité, indépendant des autres facteurs de risque cardio-vasculaire, y compris de l'hypertension artérielle. Argument rejeté par le Dr Drueke : «Dans cette étude finlandaise, il ne s‘agit pas d'un essai clinique, mais simplement d'une étude observationnelle qui a analysé les sujets après les avoir classés en deux groupes, en fonction de leur consommation “librement choisie' d'un régime soit plus riche, soit moins riche en sodium. Il va de soi que ces deux groupes de sujets se distinguaient par beaucoup d'autres facteurs, captés ou non captés. La différence de mortalité entre ces deux groupes n'existait d'ailleurs que pour les sujets obèses. Ce genre d'analyses rétrospectives, observationnelles, sert à générer des hypothèses qu'il faut ensuite tester dans des études prospectives, randomisées et contrôlées. À ce jour, de telles études n'existent pas.» Néanmoins, comme l'explique le Pr Mimran, «en dehors de son effet sur la pression artérielle, le sodium peut être considéré comme un facteur de risque indépendant. Il existe en effet une relation positive entre natriurèse et masse ventriculaire gauche, ainsi qu'entre apport sodé et albuminurie, comme l'a montré G. Du Cailar (5), chez les sujets nomotendus comme chez les patients hypertendus. Or il est bien établi que l'albuminurie et l'hypertrophie ventriculaire gauche sont deux témoins mesurables d'atteinte des organes cibles». Pour le Pr Mimran, l'ensemble des données disponibles permettent de préconiser une réduction de la consommation de chlorure de sodium entre 5 et 7 g, ce qui serait tout à fait acceptable pour la palabilité des aliments. Cet objectif peut être atteint par l'éducation et l'étiquetage compréhensible des produits, estime-t-il.
Quels effets dans certaines populations ?
Un avis que ne partage pas tout à fait le Dr Drueke. La survie des Japonais qui conservent une alimentation très salée tout en consommant l'alimentation japonaise habituelle ne s'est-elle pas révélée meilleure en termes de mortalité que celle de sujets soumis à un régime riche en fruits et en légumes et réduit en sodium (6) ?
S'il est bien admis que les hypertendus, les cardiaques et les insuffisants rénaux doivent réduire leurs apports sodés, pourquoi imposer une telle mesure à toute la population dont la majorité, du moins en France, consomme entre 7 et 9 g de sel par jour ? Cette baisse pourrait avoir des effets délétères chez les femmes enceintes, les sujets ayant des pertes rénales de sel supérieure à la moyenne, les sportifs et les sujets âgés qui, tous, ont besoin d'apports en sel suffisants pour garantir leur équilibre hydrosodé. Argument rejeté par le Pr Mimran : en cas de fuite digestive ou sudorale de chlorure de sodium, le rein diminue son extraction fractionnelle. De 1 à 2 % en situation normale, celle-ci peut baisser d'un facteur 10, pour n'être plus que de 0,1 à 0,2 %, assurant ainsi l'homéostasie sodée. Chez le sujet âgé néanmoins, le rein n'assure plus aussi bien cette homéostasie, mais, avec de 6 à 7 g de sodium par jour, les besoins sont largement couverts.
* hôpital Lapeyronie, Montpellier.
** INSERM U845, hôpital Necker, Paris.
(1) Interstalt Cooperative Research Group. BMJ 1998 ; 297 :319-328.
(2) Sacks FM et coll. N Engl J Med 2001 ; 344 : 3-10.
(3) Hooper L et coll. BMJ 2002 ; 325 : 628-637 (4) Lancet 2001 ; 357 : 848-851.
(5) American Journal of Hypertension 2002 ; 15 : 222-9.
(6) Shimazu T et coll. Int J Epidemiol 2007 ; 36 : 600-609.
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