SPECIALISTES

Vers un front syndical unitaire ?

Publié le 28/03/2004
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CE N'EST plus une idylle naissante, plutôt un mariage de raison. L'Union nationale des médecins spécialistes confédérés (Umespe) et l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (Uccsf), respectivement les branches spécialistes de la Csmf (majoritaire) et d'Alliance affichent au grand jour leur communauté de vues et d'intérêts. Et surtout leur volonté d'être enfin entendus sur les « dossiers urgents » : nomenclature des actes techniques, responsabilité civile professionnelle (RCP), tarification à l'activité, équipements lourds, équité public-privé et, bien sûr, anarchie tarifaire.
Ces dernières semaines, les deux syndicats ont déjà multiplié les communiqués communs sur des thèmes ciblés : permanence des soins non reconnue des spécialistes dans les cliniques ; défense des plateaux techniques ; ou encore « danger d'étatisation » de la médecine libérale ambulatoire à travers les schémas régionaux d'organisation sanitaire (Sros) de troisième génération.
Mais ils veulent « ratisser plus large ». L'Umespe et l'Uccsf ont donc invité par courrier les présidents des quatre centrales représentatives des spécialistes (Csmf, Alliance, SML et FMF) ainsi que les syndicats dits « verticaux » (spécialités catégorielles) à construire un « front uni pour mieux mobiliser nos confrères » et « fédérer toutes les énergies ». L'Umespe et l'Uccsf proposent d'élaborer une « plate-forme de demandes communes » à l'heure où, selon eux, « la médecine libérale spécialisée se trouve en danger de disparition », sans aucune oreille attentive des pouvoirs publics. La sauvegarde des cabinets et des établissements de soins privés serait en jeu, et donc la possibilité pour les patients d'accéder demain à un spécialiste de haut niveau dans le secteur libéral. Selon l'Umespe et l'Uccsf, l'ensemble des spécialistes demandent « fortement une unité syndicale ». Le message est également à l'intention des pouvoirs publics : il s'agit de faire émerger un front « responsable, crédible » porteur de propositions « lisibles » à l'heure où fleurissent les discours radicaux et les comportements jusqu'au-boutistes. « Il y a le feu chez les spécialistes : si le gouvernement n'entend pas les syndicats, il trouvera les coordinations », souligne un cadre de l'Umespe. La Fédération des médecins de France (FMF) accueille l'invitation à l'union avec une extrême prudence, tandis que le SML rejette une « pseudoalliance artificielle et grotesque » (encadré).

Médecins « tondus ».

Ce front des spécialistes, qui bouscule volontiers les centrales polycatégorielles, jugées parfois timorées ou porteuses d'un message centré sur les médecins généralistes, débouchera-t-il sur du concret ? Les
Drs Jean-François Rey et Jean-Gabriel Brun, présidents de l'Umespe et de l'Uccsf, l'espèrent ardemment. Les deux hommes ont été reçus ensemble à Matignon, pendant plus d'une heure, par Christian Charpy et Olivier Brault, respectivement conseiller social et conseiller technique sur l'assurance-maladie de Jean-Pierre Raffarin. Si la discussion a surtout porté sur les groupements de coopération sanitaire (GCS), qui inquiètent les praticiens libéraux, il a été également question de la « désespérance » des spécialistes en secteur I, de la guerre tarifaire actuelle, des charges qui pèsent sur les plateaux techniques et du « défaut de communication » entre les spécialistes et le ministère de la Santé. « Nous avons affirmé la sensibilité de la médecine spécialisée libérale, explique le Dr Rey. Les spécialistes de proximité n'existent tout simplement pas aux yeux des pouvoirs publics qui voient d'un côté les médecins généralistes et de l'autre l'hôpital. »
Preuve supplémentaire de cette déconsidération : le livre « Sauvons la Sécu ! » que vient de publier le Pr Jean-Michel Dubernard, député (UMP) du Rhône, président de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée, ne contient « aucune ligne sur les spécialistes libéraux », tempête le Dr Rey.
Pour autant, l'horizon ne s'est guère éclairci lors de cet entretien à Matignon. « On a la désagréable impression que les spécialistes libéraux seront tondus, mais on ne connaît pas l'épaisseur de la tondeuse », résume le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'Uccsf. Pour le Dr Rey, « la vision du spécialiste à l'hôpital reste très présente chez nos interlocuteurs ». Aucune promesse n'a été faite sur l'enveloppe financière disponible pour lancer la nouvelle classification commune des actes médicaux (Ccam) techniques, attendue au 1er octobre.

Diversité.

Si l'Umespe et l'Uccsf s'activent, c'est aussi parce qu'ils estiment que les pouvoirs publics « jouent de nos divisions et de nos diversités pour nous affaiblir ». L'hétérogénéité de la médecine spécialisée n'est pas le moindre des handicaps pour mobiliser la base. En d'autres termes, la révolte massive et hypermédiatisée des médecins généralistes dans le cadre de la grève des gardes, qui avait abouti au C à 20 euros, dans un contexte différent, est une prouesse difficile à répéter. « Nous constatons que la mobilisation (des spécialistes) reste encore trop inégale, allant du geste de désespoir que constitue une demande de déconventionnement à une trop grande passivité », regrettent l'Umespe et l'Uccsf dans leur lettre ouverte. Ils entendent bien, néanmoins, battre le tambour.

La FMF sceptique, le SML caustique

Un front syndical uni ? La FMF ne rejette pas l'hypothèse, mais pose ses conditions. Constatant « le ralliement d'autres syndicats à ses thèses », notamment la possibilité pour l'ensemble des médecins libéraux d'avoir un accès aux honoraires libres, la centrale propose une plate-forme commune autour de l'axe central de son projet : « Ne pas lier les honoraires des médecins aux possibilités financières des caisses. »
En revanche, le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF, ne veut pas d'une union « en trompe l'œil » qui répondrait uniquement à la volonté de certains d' « éviter l'hémorragie de leurs troupes ». Quant au Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), il est franchement hostile à la constitution d'une « pseudo-alliance » ou « unité de façade artificielle, malvenue, illusoire et grotesque ». Toujours échaudé par la signature « en solo » du règlement conventionnel minimal (RCM) par la Csmf, puis par les propos acides qui avaient accueilli sa tentative de relance des négociations conventionnelles en novembre 2003 (une « mascarade », avait dit la Confédération), le Dr Cabrera estime que le rapprochement proposé aujourd'hui n'est « absolument pas crédible », mais relève de « l'agitation médiatique ».

> CYRILLE DUPUIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7508