Verbatims

Publié le 06/12/2014
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« Le budget prend le pas sur le soin »

« Aujourd’hui, les pratiques hospitalières engendrent une perte de sens, car elles sont axées sur le nombre d’actes, les protocoles, les procédures, la rentabilité, le reporting, etc. Le budget prend le pas sur le soin. Les règles du néomanagement public sont réductrices et passent à côté de l’essentiel. L’évaluation devrait porter en priorité sur l’amélioration de l'état de santé du patient et non sur des indicateurs qui en sont déconnectés, même s’ils font les délices d’une bureaucratie sanitaire qui tourne à vide. L’organisation du travail ne peut pas être calquée sur celle du secteur industriel, car les activités médicales et hospitalières sont spécifiques avec leur part technique et leur part humaine. Nous devons prodiguer des soins sur mesure, adaptés à chaque patient. Par ailleurs, les moyens mis à notre disposition pour maintenir un bon niveau d’équipements et d’infrastructures deviennent insuffisants. Mais les conséquences et les choix que cela implique en matière d’accès aux soins et de qualité des soins ne sont pas assumés par les pouvoirs publics. On préfère s’occuper de renforcer un jacobinisme sanitaire nuisible ou se perdre dans des problématiques organisationnelles sans intérêt. »

Professeur Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’Hôpital Cochin, coauteur avec Frédéric Pierru de L’hôpital public en sursis.

« Le grand problème, c’est l’application à la santé du dogme de la concurrence pour obtenir la qualité au moindre coût. Il s’agit, en matière de management, de gagner le plus possible en dépensant le moins possible c’est-à-dire de privilégier les activités rentables et de diminuer le personnel. Comme l’affirmait Jean de Kervasdoué dans son Que sais-je ?, l’hôpital serait une entreprise « comme les autres » qui « cherche à vendre ». Le patient est un « client » à fidéliser ! Or cela ne peut pas fonctionner en santé parce que le patient n’est pas et ne sera jamais un consommateur éclairé. C’est extrêmement violent pour les médecins qui, rappelons-le, prêtent serment d’appliquer « le juste soin pour le malade au moindre coût pour la collectivité ». Le docteur Knock est devenu le modèle. En outre, en France, avec notre budget national qu’est l’Ondam, nous sommes au cœur d’une contradiction : il faut désormais gagner des « parts de marché » au sein d’une enveloppe fermée. Il faut donc augmenter sans cesse la « productivité » Cela induit une dégradation des conditions de travail, une augmentation de l’absentéisme, une baisse de la qualité des soins. Business ou santé publique, il faudra bien finir par choisir !

Professeur André Grimaldi, diabétologue à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, auteur de « l’Hôpital malade de la rentabilité » et de « La santé écartelée entre business et santé publique ».

Source : Décision Santé: 299