« La France sans bloc opératoire » à partir de lundi

Veillée d’armes dans les cliniques

Publié le 19/07/2006
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À QUATRE JOURS du coup d’envoi de l’opération « La France sans bloc opératoire »– le 24 juillet pour une durée illimitée – , la menace d’un mouvement largement suivi de cessation d’activité des équipes médicales libérales prend forme dans les cliniques privées.

A l’origine de cette action protestataire, l’Union des chirurgiens de France (Ucdf), le Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof) et l’Association des anesthésiologistes libéraux (AAL) promettent même une mobilisation «massive» des spécialistes concernés ; selon les trois organisations, «plus de 500 blocs opératoires réunissant plus de 3000 chirurgiens, 1700 anesthésistes et 1000 obstétriciens» se préparent à cesser toutes leurs activités. Prudent, le ministère de la Santé ne parie «ni sur le succès, ni sur l’insuccès, ni sur le pourrissement» du conflit. «On continue de travailler sur le fond des dossiers qui posent problème, et notamment la RCP», explique-t-on dans l’entourage de Xavier Bertrand .

Les trois principaux foyers de cette crise qui couve depuis de longs mois sont connus : «non-application» par les pouvoirs publics de plusieurs points clés des accords chirurgie d’août 2004 (volet tarifaire mais surtout impasse sur la création du secteur optionnel avec dépassements encadrés) ; envolée des primes d’assurance en RCP qui frappe en priorité les obstétriciens et les chirurgiens ;mais aussi, plus récemment, «déremboursement des dispositifs médicaux implantables» intégrés aux tarifs des cliniques dans le cadre de la T2A (tarification à l’activité). Une liste de griefs non exhaustive.

Dans ces conditions, l’épreuve de force semble inévitable. Selon le Dr Philippe Cuq, président de l’Ucdf – plus de 2 000 praticiens revendiqués –, figure de proue de cette opération,les derniers pointages des ARH (agences régionales de l’hospitalisation), révèlent une «situation très tendueen Rhône-Alpes, Bretagne, Midi-Pyrénées et Bordeaux/Aquitaine». «Il n’y a pas d’essoufflement, plutôt des ralliements», affirme-t-il.Au ministère de la Santé, on précise que la mobilisation des équipes opératoires risque de se faire «ville par ville».

Accouchements menacés dans le privé.

Malgré les contacts continus, cette semaine encore, entre les organisations à l’initiative du mouvement et le cabinet de Xavier Bertrand, les lignes n’ont guère bougé pour l’instant. Seul ballon d’oxygène pour le gouvernement : le Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs de France (Snarf) a décidé de ne pas s’associer au mot d’ordre d’arrêt d’activité (voir ci-dessous), prenant acte des engagements «fermes» du ministère de la Santé et de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (Uncam). Même si, ironise le Dr Cuq, «le Snarf n’a rien obtenu et défend l’indéfendable pour des raisons politiques».

Pour donner la mesure de la gravité du mouvement qui se prépare, le Syngof expliquera aujourd’hui les modalités de l’arrêt d’activité des blocs obstétricaux et des urgences gynécologiques. En pratique, les gynécologues obstétriciens qui ont une activité chirurgicale programmée devraient ranger les bistouris dès lundi prochain. En revanche, les obstétriciens arrêteront leur activité en salle d’accouchement «à n’importe quelle date, à partir du 24juillet, sous préavis de 12heures». Une stratégie « à effet de surprise » qui doit permettre d’éviter les réquisitions préfectorales automatiques. «Il n’y aura plus d’accouchement possible en secteur privé», menace le Syngof.

Alors que le syndicat espère toujours – «priorité des priorités» – une solution pérenne pour régler la crise de la RCP, les propositions du gouvernement ne seraient pas à la hauteur des enjeux. «Le dossier n’avance pas, déplore le Dr Guy-Marie Cousin, président du Syngof. Le ministère propose de diminuer le plafond des garanties et la responsabilité des assureurs, et de transférer le reste sur la solidarité nationale, mais sans aucun engagement écrit des assureurs, notamment sur la baisse des primes».

Une autre piste à l’étude serait de taxer l’ensemble des médecins libéraux pour abaisser la prime des obstétriciens. Cette mutualisation pourrait également profiter aux chirurgiens et aux anesthésistes. Mais resterait à fixer le montant de cette taxe – peut-être de 10 ou 15 euros par an pour un généraliste, davantage pour les spécialistes –, de façon à ce que cette issue soit acceptable pour toutes les disciplines médicales.

La clé des grosses cliniques.

Pas en reste dans la contestation, l’Association des anesthésiologistes libéraux (AAL, dans la mouvance de la FMF) promet une mobilisation sans faille de ses 750 anesthésistes adhérents. «La situation est explosive, plus de 50% des blocs chirurgicaux devraient baisser pavillon dès lundi», affirme la présidente de l’AAL, Marie-Pascale Quirin, pour qui «les anesthésistes aux abois sont prêts à aller à l’affrontement». Si la question de la RCP est désormais moins aiguë dans cette spécialité, l’AAL insiste sur la crise des vocations en libéral et stigmatise les «conséquences désastreuses» de l’application de la nouvelle Ccam technique. «On ne peut plus coter la douleur, les tarifs sont sous-évalués, il faut en finir avec l’hypocrisie consistant à travailler sur quatre blocs...», résume le Dr Quirin qui exige une réévaluation globale des actes d’anesthésie-réanimation.

Dans ce contexte, juge-t-elle, les «vagues promesses» acceptées par le Snarf «font sourire».

Deux ans après la menace d’exil anglais de 2 000 chirurgiens (qui avait contraint les pouvoirs publics à signer en urgence les accords d’août 2004), cette nouvelle poussée de fièvre peut-elle obliger le gouvernement à agir rapidement ? Le degré de mobilisation des équipes opératoires dans les gros établissements pourrait être une des clés. Pour l’instant, le ministère de la Santé a demandé aux ARH de prendre les dispositions nécessairespour assurer l’accès aux soins en lien direct avec les hôpitaux publics. Réquisitions, transferts d’activité sur d’autres établissements, reports d’interventions chirurgicales : «Tout sera examiné au cas par cas», explique-t-on dans l’entourage de Xavier Bertrand.

Mais le fait que le mouvement de grève implique les trois spécialités qui font tourner les blocs est un souci supplémentaire pour les pouvoirs publics. D’autant que l’opération a été relayée pendant plusieurs mois (réunions locales, forums Internet). Il est vrai que, dans les cliniques, une opération de grève montée trop rapidement est vouée à l’échec.

Soutien des syndicats représentatifs

Que pensent les principales centrales officiellement représentatives de l’opération « la France sans bloc opératoire » ? Tout est ici affaire de mots. Sans appeler à la grève, la Csmf «comprend et soutient la colère» des anesthésistes, des chirurgiens et des obstétriciens ; elle rappelle surtout qu’elle se bat sur «tous les dossiers» en jeu (RCP, tarifs Ccam, dispositifs médicaux implantables, secteur optionnel...) pour trouver des solutions «dans le cadre global de la profession».

Le SML juge lui aussi que les spécialistes ont «quelques raisons d’être désenchantés» entre un secteur optionnel «dans les limbes»,la question récurrente de l’assurance des spécialités à risques, la Ccam technique «trop complexe» et une démographie «chancelante».

Quant à la FMF, par la voix de son collège spécialiste, elle apporte un soutien «sans réserve» au mouvement. Elle appelle «tous ses adhérents et sympathisants à cesser le travail à partir du 24juillet prochain».

Lire aussi :
> Le Snarf n’appelle pas les anesthésistes à la grève

> CYRILLE DUPUIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7995