TOUT COMMENCE par un cas d'éruption cutané chez le petit Daniel D., un nourrisson de 11 mois. Appelé au domicile des parents, le Dr Georges Cadoret, chef du service de pédiatrie de l'hôpital de Vannes, est perplexe devant cette « éruption cutanée érythémato-vésiculeuse d'aspect pemphigoïde », avec fièvre et état d'agitation : varicelle surinfectée ou infection strepto- ou staphylococcique ? Cette dernière hypothèse lui paraissant la plus probable, le praticien décide l'hospitalisation et une antibiothérapie (pénicilline et Terramycine).
C'est ainsi que, le 9 décembre 1954, fut admis au pavillon 2 de l'hôpital Chubert de Vannes le premier cas de variole d'une épidémie qui sera la dernière observée en France. Le petit Daniel séjournera jusqu'au 28 décembre dans une chambre seule, au milieu du service de pédiatrie. Pendant ces 19 jours, la contamination prend la voie des soignants, des patients et des visiteurs. Le Dr Cadoret lui-même fait partie des médecins touchés, il déclare une forme anéruptive, avec fièvre, courbatures et céphalées. Il pense alors être atteint d'une banale grippe. Valentine Ozon, une soignante du service, fera l'objet d'un diagnostic de varicelle. Tout comme les sept enfants hospitalisés dans le service, sur les visages et les troncs desquels apparaissent simultanément des macules. Et c'est cette simultanéité qui va mettre le médecin chef de service sur la piste de la variole.
Mesures d'urgence le 31 décembre.
Le Dr Cadoret appelle à la rescousse des praticiens qui ont exercé au Vietnam, mais leurs avis sont partagés. Une nouvelle série de cas renforce ses doutes. Bien qu'il n'ait lui-même jamais vu de variolé et faisant fi des hésitations des cliniciens consultés, il décide de prendre des mesures d'urgence. Dès le 31 décembre, il fait vacciner le personnel dans tous les services de l'hôpital, et, le lendemain, il alerte la préfecture du Morbihan et le ministère de la Santé. Accouru de Nantes, le médecin-inspecteur de la Ddass, Guy Grosse, juge l'évidence suffisante pour lancer un plan d'actions immédiat : envoi des prélèvements à l'Institut Pasteur, transfert des enfants de pédiatrie au pavillon 10, le service des contagieux, bouclage de l'hôpital, consignation des soignants dans leurs services. Le 2 janvier, un premier bébé meurt. Le 3, Pasteur confirme : la variole est bien à Vannes.
Le 4, le Pr Le Bourdelles, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Claude-Bernard (Paris), rejoint un hôpital en état de siège. Le 5, le préfet signe une circulaire qui ordonne la vaccination de « toute personne qui ne pourra justifier avoir été vaccinée ou revaccinée avec succès depuis moins de cinq ans ». Un cercle est tracé autour de l'arrondissement de Vannes et des cantons voisins de Saint-Jean-Brévelay, Locminé et Quiberon. Le même jour, des stocks de vaccins sont livrés de Tours et de Paris, sous protection de la gendarmerie. Les maires sont chargés d'ouvrir des centres dans chaque ville et dans chaque village. Entre le 6 et le 8, 125 000 personnes sont ainsi vaccinées. Le 12, « les réunions de toute nature, les réunions occasionnelles qui groupent les enfants en bas âge », les goûters et arbres de Noël font l'objet d'une circulaire d'interdiction. La presse se fait l'écho de l'annulation des mariages, bals et autres festivités locales. Le 13, les habitants du canton d'Auray sont à leur tour vaccinés. Ce jour-là, on dénombre déjà 5 morts et entre 1 et 3 nouveaux cas par jour.
La variole faucheuse de générations.
Le 15, le décompte macabre se monte à neuf victimes, avec une cinquantaine de patients contaminés. « On était des pestiférés », témoigne une aide-soignante consignée à l'intérieur du pavillon 10. « Paris Match » décrit une variole « faucheuse de générations ». Le Parti communiste dénonce l'incompétence des services médicaux, préfectoraux et militaires. Le 17, atteint d'une symptomatologie méningée, avec des céphalées et une éruption, le Dr Grosse se fait hospitaliser au pavillon 10. Le 19, le pic épidémique est franchi. Mais, en dépit d'une amélioration de son état les 20 et 21, le médecin-inspecteur de la Ddass meurt le 24 janvier, seul praticien à payer de sa vie sa lutte contre l'épidémie de Vannes.
À partir de la fin de janvier, le rythme des nouveaux cas se ralentit. L'épidémie sera restée strictement hospitalière, avec un bilan définitif de 73 cas répertoriés, dont 16 décès. Mais le personnel des pavillons 10 (cas confirmés), 8 (cas douteux) et 6 (convalescents) restera consigné pendant plusieurs semaines encore. Les malades n'ont pas le droit de recevoir de visites. Les médecins seuls disposent de la liberté d'aller et venir. La réouverture se fera en partie le 13 avril, après désinfection complète et réfection des peintures et des literies. Elle ne sera totale que le 20 mai, par décision du ministre de la Santé, Bernard Lafay.
C'est cette épopée épidémiologique que raconte sur le mode d'une aventure exceptionnelle l'exposition présentée jusqu'au 12 mars dans l'enceinte hospitalière « Il y a 50 ans, la variole à Vannes ». Son principal maître-d'œuvre, le Dr Hubert Journel, successeur du Dr Cadoret, membre de la Société française d'histoire de la médecine, a tenu à rendre hommage à ses prédécesseurs, à ses yeux injustement critiqués. « Avec les Drs Yves Poinsignon et Yves Cano, nous avons voulu témoigner du travail admirable de cette équipe de médecins et de soignants confrontée à un contexte d'extrême contagiosité. Il n'est pas dit qu'une équipe d'infectiologues d'aujourd'hui aurait fait mieux qu'eux. »
« L'épidémie de Vannes, cinquante ans après, souligne le praticien hospitalier-historien, fait froid dans le dos ; elle permet de réaliser qu'un gamin qui va simplement respirer dans un bâtiment peut y contaminer tout le monde de manière quasi instantanée.On mesure alors combien les préoccupations actuelles autour des risques de bioterrorisme sont justifiées. »
Les experts ont compris l'enjeu pédagogique de l'épidémie de Vannes ; après le Pr Michel Roussey (CHU de Rennes), venu faire une conférence sur les vaccins, c'est le Pr François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses de la Pitié, qui est attendu le 3 mars à Vannes pour évoquer les urgences du bioterrorisme.
Le virus était-il dans le pyjama ?
Le Dr Cadoret a remonté la filière épidémique à partir du premier cas repéré, celui du petit Daniel. Le père du nourrisson, sergent parachutiste dans l'armée française, était en service au Vietnam lorsqu'il fut hospitalisé à l'hôpital Roques de Saigon, où avaient été admis des cas de variole. Vacciné dès son entrée, il aurait cependant déclaré une forme de variole fruste anéruptive. La légende veut que, de retour dans sa famille à Vannes, il aurait transporté le virus dans trois pyjamas de soie à dragons qu'il avait achetés dans les souks de Saigon.
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