L'HISTOIRE de Valda débute par un grand mystère, celui de l'origine de son nom. Est-ce la contraction des mots valetudo et dare, signifiant santé et donner, en latin, l'anagramme de Daval, le nom de la rue parisienne où étaient fabriqués certains produits vendus par le créateur de la pastille, ou encore un hommage à la belle amie russe de ce dernier ?
La marque, en tout cas, est déposée le 26 septembre 1900 par Henri-Edmond Canonne. Le pharmacien lillois vient de perdre sa tendre et chère épouse, dans la fleur de l'âge, des suites d'une fièvre typhoïde. Féru de microbiologie, il conservera de ce triste épisode une obsession permanente de l'hygiène et de l'asepsie. Quarante ans avant le premier traitement à la pénicilline, l'idée lui vient d'associer au cœur d'une petite boule de pâte molle, riche en gomme arabique, cinq antiseptiques naturels, le menthol, l'eucalyptol, le thymol, le gaïacol et le terpinol. Effet rafraîchissant du nez et adoucissant de la gorge garanti, il doit séduire toute la France de la Belle Epoque. L'homme, aussi ambitieux qu'il est créatif, n'en est pas à son premier coup de génie. Lorsqu'il vient à Paris, le choix d'un emplacement pour installer sa pharmacie n'est pas le fruit du hasard. Ce sera au croisement du boulevard de Sébastopol et de la rue Réaumur, juste en face de la toute première épicerie sur deux étages du pays, celle de Jean-Louis Félix Potin. Depuis le milieu du XIXe siècle, les grands magasins sont en vogue. Ces temples de la consommation aux façades richement ornées font rêver Canonne, qui investit dans une gigantesque boutique où la qualité des articles proposés rivalise avec leur variété et leur abondance. La clientèle y trouve des remèdes par centaines, mais aussi tous ces aliments auxquels on reconnaît déjà des vertus médicinales, comme le chocolat, ou plus de 150 eaux de source différentes. Tous ces articles, généralement disponibles au détail, sont proposés au prix de la vente en gros. Canonne ne se prive donc pas de s'autoproclamer, à juste titre, « la pharmacie la moins chère de Paris ». Le pharmacien est également l'un des précurseurs de la livraison à domicile.
Tout en menant ses activités d'entrepreneur, Henri-Edmond Canonne n'en oublie pas pour autant la petite pastille. Son succès est si fulgurant que, en 1920, il doit ouvrir une immense usine de fabrication dans le quartier de la Bastille pour en produire près de 10 000 boîtes par jour. D'autres centres de production voient rapidement le jour, à Dieppe, mais aussi à Milan, à Athènes ou à Rio. Valda s'installe encore à Moscou dès 1908, au Chili en 1917 ou en Chine à partir de 1932. Elle fait le tour du monde et sera vendue dans une trentaine de pays.
Le bon Dr Valda.
Ses efforts pour dynamiser l'exportation nationale valent à Canonne d'être honoré en 1911 de la Légion d'honneur, décoration qui orne aussi le revers de la veste du bon Dr Valda. Après le Bibendum Michelin (1898), mais avant le Bébé Cadum (1912) ou la Vache qui Rit (1921), la marque s'offre en effet en 1907 un éminent porte-drapeau, tout droit sorti de l'imagination fertile du pharmacien. Le vieux monsieur flanqué de ses lunettes, de ses favoris blancs, de son haut-de-forme et de sa redingote va prôner les bienfaits de la pastille et ornera les supports publicitaires de la marque dans le monde entier.
Le plus en vogue à l'époque est, bien sûr, l'affiche. Le Dr Valda s'affiche jusque dans les wagons de voyageurs des trains, où Canonne lui-même n'hésite pas à aller vendre ses pastilles. Il figure aussi sur les carnets d'excellence et de dessin, les diplômes de bons élèves remis par les instituteurs aux écoliers méritants. Des agendas, des cartes postales, des calendriers, des catalogues se mettent aux couleurs de Valda. Le personnage aux favoris ira jusqu'à s'inviter sur des boîtes d'allumettes ou des plaques émaillées signées par Falcucci. Sur des tôles peintes animées, il est aux commandes d'une voiture, d'un bateau, d'un avion, il traverse le désert à dos de chameau. Les mouvements de ces automates de vitrine pouvant atteindre un mètre de haut sont d'abord assurés par des mécanismes d'horlogerie avant d'être électrifiés. Ils témoignent de l'expansion de la marque à travers le monde, à une époque où celui-ci se porte de plus en plus mal.
La guerre qui ne finit pas.
A l'heure de la Grande Guerre, le Dr Valda affiche son patriotisme, habillé d'une veste bleue, d'une chemise et d'un nœud blanc et du pantalon garance des soldats arrachés à leur foyer pour rejoindre le champ de bataille. Comme le font alors de nombreuses marques, le pharmacien adapte sa démarche publicitaire au contexte du conflit. Sur les affiches, il ne recule devant aucune comparaison : les avions bombardiers constituent, comme les germes, un péril aérien et les boîtes de pastilles deviennent des boulets s'échappant des canons.
Après la signature de l'armistice, Canonne prévient : « Il y a une guerre qui ne finit pas, c'est la guerre contre les microbes. » De retour du front, les poilus témoignent de l'horreur vécue et quelques-uns racontent comment, dans les tranchées, ils ont partagé leur boîte de pastilles pour réconforter les compagnons de régiment.
Le Dr Valda survit, lui aussi, aux conflits qui embrasent le monde ainsi qu'au décès d'Henri-Edmond Canonne, en 1961. En 1964, l'affichiste Savignac le redessine, puis il finit par s'incliner face à la photographie qui prend le pas sur le graphisme au milieu des années 1960. En 1936, déjà, une rivale tentait de lui ravir le haut de l'affiche. Une jeune femme ravissante au regard bleu glacé et aux belles boucles blondes qui semble emprunter ses traits à Michèle Morgan. Le doute subsiste aujourd'hui encore sur cette ressemblance supposée, plus ou moins frappante selon les affiches, puisque « Quai des Brumes », le film de Marcel Carné, n'est sorti qu'en 1938. En 1986, pour sa dernière campagne publicitaire, la star est cette fois une pastille Valda géante qui fait irruption, à la surprise des passants, sur une place parisienne en en arrachant les pavés. Lors d'une ultime apparition, la « force verte » triomphe et étonne encore en apparaissant, fait rare, sur des affiches thermoformées dans les escaliers du métropolitain.
Aujourd'hui, près de un million de boîtes sont vendues chaque année. Valda est une marque de GlaxoSmithKline Santé Grand Public, qui présente ainsi pour la première fois sa collection particulière.
« Valda toujours », du mercredi 20 avril au dimanche 22 mai, musée de la Publicité-les Arts décoratifs, à Paris, dans le cadre de l'exposition « Tout est pub 1970-2005 ». L'exposition a été conçue en collaboration avec le Laboratoire GlaxoSmithKline Santé Grand Public. Remerciements à Capital Image et à Réjane Bargiel, conservatrice au musée de la Publicité-les Arts décoratifs de Paris.
Du poilu au chanteur
Un soldat prisonnier écrit à sa bien-aimée, quelques jours après Noël 1914 : « Ma chère Jeanne. J'ai bien reçu tes colis et je te remercie, tous trois sont arrivés à bon port (...) Je t'ai demandé dans une précédente lettre une boîte de Valda pour le rhume, joins aussi un peu de thé et encore du sucre, pour pouvoir me faire des infusions chaudes, car il ne fait pas toujours chaud ici. » Après-guerre, Antoine de Saint-Exupéry griffonne un dessin représentant un condamné au pied de l'échafaud, qui déclare : « Moi, je m'en fous, je suce des pastilles Valda. » Dans « Normalement », paru en 2001, Christine Angot encourage un de ses personnages à libérer sa rancœur par un « Tu la craches ta Valda ? ». Une expression devenue populaire et bien connue des lecteurs de San-Antonio pour lequel une Valda désigne aussi une bastos (balle de revolver). Cette métaphore est également présente dans « la Bérésina », chanson de Pierre Perret qui, au comble du désespoir, ne voit plus qu'une issue, « se filer une Valda dans le plafond ».
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