Après une nouvelle agression contre un généraliste

Val-Fourré : les cabinets médicaux ferment à 16 heures

Publié le 01/10/2003
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Après sa carrière d'hospitalier, le Dr Trong Ruang Phan, 50 ans, s'est installé en 1997 au Val-Fourré comme généraliste. Son exercice s'y est déroulé sans climat particulier, ni aucune agression, sous aucune forme, même si la réputation du secteur, classé « zone franche » justement depuis 1997, ne lui est pas inconnue.

Rien à signaler donc, jusqu'à ce 15 septembre. Ce jour-là, le praticien raccompagne son dernier patient vers 21 h, au rez-de-chaussée d'une tour dressée au cœur du Val ; il effectue quelques rangements avant de regagner son domicile, lorsqu'une vitre vole en éclats. Sa porte-fenêtre s'ouvre sur trois jeunes âgés de 16 ou 17 ans. « Je ne les avais jamais vus, raconte-t-il. Ils avaient sans doute attendu que je sois seul pour agir. Une échauffourée s'est engagée, un bref échange de coups de poing et de coups de pied entre eux et moi, mais que voulez-vous faire seul contre trois ? »
Le trio a réussi à s'emparer d'un tiroir avec l'argent liquide des consultations, environ 200 euros et les clés de la voiture du praticien, sans doute le but de l'expédition.
Malgré les contusions, le Dr Phan reprenait ses consultations et ses visites dès le lendemain. Sous le choc, il a cependant renoncé à travailler tard dans la soirée, de peur d'une récidive.
Cette peur taraude les 25 000 habitants du Val comme la plupart des 38 membres de l'association des professionnels de santé (médecins, chirurgiens-dentistes, gynécologues, kinésithérapeutes, infirmières et pharmaciens) qui exercent dans le quartier. Réunis après cette agression, la quinzième en trois ans contre l'un des leurs, ils ont donc décidé de fermer leur cabinet plus tôt chaque soir. Depuis lundi et jusqu'à samedi, ils ne recevront plus ni ne se déplaceront plus après 16 heures.

Sensibiliser les pouvoirs publics

« En décidant d'agir de cette manière, nous ne voulons évidemment punir personne, souligne le Dr Charles Soussi, généraliste installé ici depuis 1968 et seul praticien à résider sur place. Nous voulons juste sensibiliser les pouvoirs publics contre les risques d'agression physique qui pèsent sur nous. A cause d'une minorité, une petite bande de jeunes cons, notre vie est en danger, souligne le médecin qui lui-même fut victime d'un braquage avec arme à feu il y a une douzaine d'années. La plupart de nos patients comprennent notre attitude et nous soutiennent. Pour l'instant, la violence est à l'état sporadique, mais demain elle pourrait s'enflammer. »

Forcer les autorités à réagir

Les médecins ont donc choisi un mouvement « soft », comme ils disent, pour exercer auprès des responsables leur fonction d'alerte. Des courriers ont été adressés en ce sens au maire de Mantes-la-Jolie, Michel Sevin, à son prédécesseur, le secrétaire d'Etat Pierre Bédier, ainsi qu'au ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy. Contactés par « le Quotidien », aucun d'eux n'a encore fait connaître sa réaction.
« C'est pour cela, pour forcer les autorités à réagir, que nous éprouvons le besoin de médiatiser notre appel, explique le Dr Malek Abderrahim, 26 années de Val-Fourré à son actif et peut-être seul praticien du quartier à n'y avoir jamais subi aucune agression. Néanmoins, précise-t-il, il reste tous les jours sur ses gardes. Nous sommes partagés, ajoute-t-il, entre la nécessité de tirer la sonnette d'alarme et la crainte d'aggraver la ghettoïsation de notre quartier ; car nous ne voulons surtout pas en rajouter, alors que des efforts de réhabilitation ont été faits ces dernières années, pour embellir l'urbanisme et qu'un semblant de calme était de retour depuis les vacances. »
L'avenir du Val-Fourré et de ses médecins reste donc incertain. « Il n'est pas acceptable que le droit à la sécurité ne nous soit pas garanti, à nous comme aux habitants du quartier, alors que c'est une fonction régalienne de l'Etat qui devrait bénéficier à tous les citoyens de la même manière, où qu'ils résident, note le Dr Abderrahim. Il y a bien les rondes effectuées par les patrouilles, mais ça ne suffit pas à empêcher les agressions. »
Un temps, le principe d'une maison médicalisée avait rallié la majorité des suffrages, qui aurait disposé d'un système de vidéosurveillance et d'un service de gardiennage pour éviter aux médecins de s'y retrouver seuls et vulnérables (« le Quotidien » du 11 janvier 2001). Mais le projet est aujourd'hui au point mort. « Nous sommes les tenants d'une médecine de proximité, pas d'une médecine réfugiée dans un blockhaus », remarquent des praticiens, sans récuser totalement le principe d'une telle infrastructure.
Installée depuis 2000 au Val, le Dr Jeanne-Marie Mojon n'a jamais été physiquement agressée, mais son cabinet a été cambriolé à deux reprises. La deuxième fois, elle était présente et a pu se lancer à la poursuite des visiteurs qui emportaient son ordinateur portable et ont fini par l'abandonner sur la pelouse. « Sans être une obsession permanente, la violence est devenue pour moi un souci quotidien, confie-t-elle ; je dois redoubler de prudence et refuser de faire des visites le soir en particulier. »
Ce souci pourrait bien la conduire un jour, elle ne l'exclut pas, à quitter la ville tant les agressions y sont devenues monnaie courante.
Elle ne serait pas la première. En trois ans, quatre praticiens (trois généralistes et un dermatologue) ont jeté l'éponge. Sans qu'aucun d'eux ne trouve un successeur.
A chaque fois, c'est le lien social qui se trouve un peu plus délité.
« Dommage, soupire le Dr Hubert-André de l'Arc, médecin SAMU à mi-temps et créateur, en 1995, d'une association SOS-Médecins opérationnelle sur Mantes et son agglomération. Nous avons un plaisir plus grand à visiter nos quartiers qu'à être appelés dans des villes ultrarésidentielles comme le Vésinet. Les gens, dans leur grande majorité, nous accueillent avec un respect pour le médecin, et une gentillesse qui a disparu ailleurs. C'est dire notre frustration quand nous devons refuser de nous rendre à leur appel, parce que ce n'est ni l'heure ni le lieu en termes de sécurité. Mais la peur de se faire caillasser comme en pleine intifada, d'avoir la voiture brûlée, les vitres explosées, la peur fait qu'on est régulièrement obligé de renvoyer les gens sur le centre 15. Et là, quand il y a urgence vitale, c'est souvent transmis aux pompiers. »
Car même les ambulances ont renoncé à emprunter certaines artères du Val-Fourré.

Christian DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7395