L E tour volontiers inquisitorial du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la crise de la vache folle (« le Quotidien » d'hier) a immédiatement mis le feu dans la classe politique.
Plusieurs voix se sont élevées dans l'opposition, comme celle du Pr Jean-François Mattei, lui-même auteur d'un rapport de l'Assemblée nationale sur la question, publié en 1997 celui-là, pour demander que justice se passe : « Comme pour l'amiante, pour l'hormone de croissance et le SIDA, il faut que nous comprenions (...) surtout pour éviter qu'un enchaînement puisse se reproduire à l'avenir », avait déclaré le président du groupe Démocratie libérale au « Quotidien ».
Vigilance et transparence
La comparaison avec l'affaire du sang frappait évidemment les esprits. Et avec elle, l'idée d'une procédure devant la Cour de justice de la République (CJR).
Le contre-feu gouvernemental ne s'est pas fait attendre. « Le gouvernement a toujours fait preuve de vigilance et agi dans la transparence », se sont défendus, dans un communiqué commun, Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, et François Patriat, secrétaire d'Etat aux PME et au Commerce.
« La gestion de ce dossier majeur de santé publique est un processus interministériel continu qui associe l'ensemble des administrations compétentes dans un souci de cohérence, de complémentarité et d'efficacité », plaident les ministres, qui affirment, contrairement aux allusions sénatoriales, que « le gouvernement a apporté à la commission d'enquête toutes les informations dont il disposait, afin de contribuer à une analyse objective et sereine de la gestion de ce dossier ».
Et non seulement les ministres se targuent d'avoir joué le jeu de la transparence et de la politique de précaution, mais ils s'autocongratulent, eux et leurs prédécesseurs, pour le « rôle précurseur et moteur constamment joué (par la France) à Bruxelles, dans le but d'harmoniser la réglementation sur l'ESB, notamment en prônant l'interdiction des tissus à risque dès 1996, la généralisation du dépistage et l'interdiction des farines animales ».
Alors que les sénateurs s'étaient indignés de ce que les impératifs de santé publique aient été muselés au profit de la logique économique, les ministres affirment que « le gouvernement est déterminé à poursuivre en privilégiant la santé publique, l'information des consommateurs et en répondant aux attentes des Français en matière de politique agricole ».
Abondant en ce sens, l'ancien ministre de l'Agriculture du gouvernement Juppé, Philippe Vasseur, a assuré que « la gestion du gouvernement auquel (il a) appartenu a consisté à suivre scrupuleusement les avis scientifiques, même lorsque les avis scientifiques coûtaient cher ou allaient à l'encontre des intérêts économiques ». L'ancien ministre se montre solidaire de son successeur, estimant que « tant dans la gestion de la vache folle que dans les précautions sanitaires qui sont prises, Jean Glavany et son gouvernement font bien leur travail ».
La riposte du ministère de l'Agriculture
Plus véhément encore, Jean Glavany présente comme une « contrevérité » l'une des conclusions du rapport sénatorial, selon laquelle son ministère se serait opposé à l'interdiction des farines en 1999. « Jusqu'en 2001, déclare-t-il au "Monde", les scientifiques ne nous ont jamais demandé d'interdire les farines animales. Pour eux, le noyau dur de la protection des consommateurs, c'était - et cela reste - le retrait de certains abats ou matériels à risque spécifiés. Je le répète (...) : j'ai été le premier ministre de l'Agriculture à proposer cette interdiction. »
Réagissant à leur tour à ces réactions, les rapporteurs du Sénat ont tenu à souligner dans une « mise au point » qu' « aucun ministre n'est personnellement et spécifiquement mis en accusation par le rapport. La commission d'enquête, ajoutent-ils mezza voce, a pu constater qu'on était manifestement en présence d'une chaîne de dysfonctionnements dont les principaux maillons ont été les autorités britanniques de l'époque, l'inertie de la Commission européenne et l'attitude de certains Etats membres ».
Il faudra maintenant attendre la publication d'un prochain rapport sur les farines, celui de l'Assemblée nationale, en principe le 18 juin prochain, pour savoir si, dans cette affaire, le législateur est véritablement disposé à en découdre avec le ou les gouvernements et à traduire les ministres devant la CJR.
Analyse politique en page 27.
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