En juin 1999, aux Etats-Unis, à la suite de la survenue de 15 cas d'invagination intestinale aiguë après vaccination contre le rotavirus, le programme d'immunisation en trois injections (à 2, 4 et 6 mois) a été interrompu. Les autorités demandaient de plus amples investigations sur l'association temporelle entre la première dose de vaccin et l'accident intestinal. Le risque relatif (RR) d'invagination dans les 3 à 7 jours suivant l'injection avait été estimé à 20 pour les 15 cas déclarés. Au total, du début de la campagne (octobre 1998) à son interruption (juillet 1999), 1,5 million de doses du vaccin Rotashield (vaccin à virus vivant atténué développé par la laboratoire Wyeth) ont été administrées.
Avec le recul, une analyse " écologique "
Bien que plusieurs études (cas-témoin et rétrospectives de cohorte) aient depuis cette date montré que le risque relatif d'invagination avait été largement surestimé, le Rotashield, qui a gardé sa licence, ne peut toujours pas être utilisé.
Le recul dont on dispose aujourd'hui permet de faire une analyse « écologique », c'est-à-dire en conditions réelles de la survenue des cas d'invagination intestinale. L'étude publiée cette semaine, dans le « Lancet », par le très sérieux Institut national de la santé de Bethesda, a donc tenté d'évaluer le plus objectivement possible ce risque. En pratique, le travail rétrospectif des épidémiologistes a consisté à rechercher toutes les hospitalisations d'enfants de moins de 1 an pour invagination intestinale, de 1993 à 1999 et dans 10 Etats américains sélectionnés. Tous les dossiers médicaux mentionnant le diagnostic d'invagination intestinale ont été retenus. D'après le nombre de doses administrées dans les états concernés, la proportion d'enfants vaccinés contre le rétrovirus a été estimée à 28 % (n = 304 347).
Au total, 2 647 dossiers médicaux d'invagination d'enfants de moins de 1 an ont été analysés dont 254 durant la période de couverture vaccinale, contre 296 durant les périodes d'observations précédentes. En revanche, chez les enfants âgés de 45 j à 210 j, susceptibles d'avoir reçu une première dose de vaccin, une augmentation de 4 % (non significative) du nombre d'admissions pour invagination a été constatée. Dans cette tranche d'âge des 6 semaines/6 mois, l'augmentation du nombre de cas d'invaginations reste inférieure à l'augmentation théorique de 23 %, retenue par le CDC pour interrompre la vaccination.
Plusieurs sources de biais
Comment, dans ce cas, expliquer un tel paradoxe ? Les investigateurs avancent plusieurs sources de biais. La première est que l'incidence accrue des invaginations après vaccination peut être associée à un risque moindre plus tardivement. Il est également possible, comme cela a été avancé, que les souche sauvages de rotavirus augmentent le risque d'invagination chez des enfants non vaccinés. Enfin, la vaccination ne fait peut-être que faciliter une sensibilité sous-jacente à l'invagination, d'où une fréquence accrue chez le petit enfant et moindre chez l'enfant plus grand.
Ces explications qui ont le mérite d'exister ne sont pas pour satisfaire le Pr Hall, unité d'épidémiologie des maladies infectieuses de Londres. Dans un éditorial sévère, le spécialiste britannique fait remarquer que la question n'était pas de faire le lien entre la vaccination et l'invagination intestinale, mais de le quantifier. Or, comment faire une telle analyse, quand le taux de couverture d'un Etat à un autre varie de 17 % à 62 % et qu'il y a autant de sujets exposés au rotavirus que de sujets non exposés (si l'on considère que l'infection sauvage peut être un facteur déclenchant). De nombreux autres facteurs n'ont pas été pris en considération tels que l'origine sociale des enfants. En effet, comparativement à la population pédiatrique totale, un enfant de race blanche issu d'une famille aisée a moins de risque de faire une invagination intestinale. Enfin et surtout, le fait qu'il n'y ait pas eu de confirmation du diagnostic de l'invagination ni du statut vaccinal de l'enfant ne permet pas de tirer des conclusions définitives.
L. Simonsen et coll., « The Lancet », vol. 358, 13 octobre 2001.
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