U NE soixantaine de médecins hospitaliers d'Ile-de-France, dont de nombreux urgentistes et chefs de service, viennent de lancer un cri d'alarme pour dénoncer le mauvais fonctionnement des urgences et les mauvaises conditions d'accueil des personnes agées. Dans un texte commun, que « le Quotidien » publie ci-dessous, ils réclament notamment « encore et toujours, des moyens supplémentaires pour les services d'urgences ».
Des services qui, en Ile-de-France, accueillent chaque année 2,2 millions de patients. A eux seuls, les services parisiens traitent 500 000 malades par an. Dans et autour de la capitale, ces services sont engorgés. A leur porte d'entrée : deux heures d'attente en moyenne dans la capitale pour les malades qui se rendent aux urgences avec leurs propres moyens. Mais aussi à leur porte de sortie : les urgentistes ont du mal à trouver des lits d'aval pour hospitaliser leurs malades, et les transferts sont légion.
Depuis quelques années, les services d'urgences sont à Paris l'objet d'importantes restructurations. Totalement ou partiellement fermés, Rothschild, Laennec, Broussais, Boucicaut, Saint-Michel n'accueillent plus d'urgences. En Essonne, Orsay et Longjumeau ont un accueil des urgences commun.
Les mouvements d'humeur des urgentistes franciliens sont récurrents. Leur dernière grande grève remonte à la fin de l'année 1999. Episodiquement, ils montent au créneau : dernièrement, le report de l'ouverture du l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) a conduit plusieurs hôpitaux de l'Ouest parisien à se mettre en grève. Les personnels de ces services réclament plus de médecins - et plus de médecins seniors -, plus de moyens, des locaux plus grands, davantage de lits d'aval. Un point qui fait débat, dans une région où l'on estime officiellement qu'il y a 10 000 lits à supprimer et où certains experts, tout comme l'ARH (Agence régionale de l'hospitalisation), jugent que la question des lits d'aval s'explique par la mauvaise utilisation de la « pléthore » de lits existants, par un mauvais aiguillage général des malades dans le système, et non pas par un manque de lits.
Tribune libre
Ces restructurations qui font tant de mal
N OTRE système de santé est le meilleur du monde ! L'OMS, quand elle a promu la France en tête des autres nations, n'avait pas regardé du côté des urgences. Et encore moins du côté des urgences de l'Ile-de-France où les conditions d'accueil et d'hospitalisation des personnes âgées (pour ne citer qu'elles) ne sont pas pour nous source de fierté. En 1999, pour 3,5 % d'octogénaires en Ile-de-France, 8 % des consultants et 20 % des malades hospitalisés par les services d'urgence étaient des octogénaires. Les besoins en lits sont croissants d'année en année, mais l'offre ne suit pas. Le retard à l'ouverture de l'hôpital européen Georges-Pompidou précédé par la fermeture de nombreux établissements, de nombreux services, voire de nombreux lits çà et là, au nom - politiquement correct - de la restructuration, a aggravé une situation pour le moins incorrecte.
Ainsi, l'Ile-de-France paye chaque année un lourd tribut. Pour la seule année 2000, nous avons assisté à la suppression de 600 lits, tandis que l'activité des urgences augmentait en moyenne de 7 % par an et que les transferts par manque de place en secteur médical progressaient de 11 % par an. Malgré le dévouement au-delà du normal des personnels des services d'urgence, nous sommes actuellement dans une situation qui défie l'entendement :
Des patients âgés qui restent sur des brancards pendant 6, 12, voire 48 heures, en attendant qu'un lit se libère ou qu'un autre malade programmé pour une hospitalisation dans l'hôpital soit décommandé.
Des patients complexes qui restent plusieurs jours dans un lit du service des urgences parce qu'ils présentent de multiples pathologies ou un problème social ou encore psychique et que les services très spécialisés sont saturés et qu'ils rechignent à les prendre.
Des patients fragiles qu'on ne peut, ou qu'on ne veut, faute de place, garder dans l'hôpital et qui repartent chez eux, voire dans la rue, avec le conseil de revenir tout de suite si ça n'allait pas...
Des patients trop vieux qui ont besoin d'examens ou de soins spécifiques dans un secteur spécialisé mais qui sont hospitalisés dans un secteur médical ou chirurgical non adapté.
Des médecins urgentistes et des cadres infirmiers qui passent des heures à chercher le lit le plus adapté dans l'hôpital pour un malade, à défaut d'un lit moins adapté sur place, voire, pire, un lit peu adapté dans un autre établissement. Cette recherche s'effectue au détriment de leurs autres missions d'accueil, de soins et d'humanité et au risque d'une sanction par un juge si la solution trouvée ne correspondait pas « à l'état de l'art » selon la formule consacrée.
Des médecins spécialistes, parfois hyperspécialistes, qui peinent à libérer les lits occupés par des urgences mal orientées et qui ne peuvent accueillir ou programmer leurs propres patients et leur font courir le risque de reporter des traitements vitaux comme une chimiothérapie ou une opération.
Une crise qui s'aggrave
Cette situation n'est pas saisonnière, et donc réversible avec les beaux jours. Elle n'est pas non plus limitée à Paris intra-muros . Non. Elle est pérenne, s'accentue chaque année et concerne tous les établissements publics d'Ile-de-France quelle que soit leur taille. Elle est le fruit de l'évolution de la médecine de ville, de la réduction drastique du nombre de lits disponibles en Ile-de-France et du vieillissement pourtant annoncé de la population. L'équation est pourtant simple : quand on réduit le nombre de lits dont les personnes âgées ont besoin et que, dans le même temps, la population gériatrique augmente, on provoque une crise. Une de plus. L'agence régionale de l'hospitalisation en Ile-de-France (ARHIF) et les administrations hospitalières dont l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) mesurent-elles les erreurs de la restructuration actuelle ? Mesurent-elles l'ampleur de la catastrophe sanitaire qui s'installe ? Mesurent-elles l'ampleur du gâchis intellectuel et humain ? S'agit-il d'une inefficacité intolérable des administrations hospitalières et des autorités sanitaires ou est-ce volontairement que l'on sacrifie ainsi la santé des patients et le dévouement des soignants sur l'autel de l'économie budgétaire ?
Des critères dangereux
L'ARHIF et les directions d'hôpital voudraient un taux d'occupation des lits proche de 100 %, étalon-or administrativement correct de la productivité hospitalière. Or, c'est impossible et dangereux en raison de la fermeture récurrente de lits, faute de personnel, de malades mourants ou contagieux qu'il faut isoler, ou pour travaux. En fait, il a été démontré qu'un état de crise pour les hospitalisations en urgence est garanti dès que le taux d'occupation de l'hôpital dépasse 85 %. Le coût de ces lits vides essentiels doit être supporté par la communauté parce que c'est une nécessité de service public dans l'intérêt des patients.
Nous avons maintes et maintes fois signalé l'engorgement des services d'urgence (« le Monde », 6/7 juin 1999). Nous avons régulièrement alerté les médias sur la difficulté d'hospitaliser les personnes âgées (enquête de « Sciences et Avenir », mars 2001 ; Le droit de savoir, « Urgences aux urgences » du 28 mars 2001). Nous avons manifesté toute notre réserve sur la politique de restriction des lits en Ile-de-France. Mais, au bout du compte, que nous a-t-on proposé ?
- Des enquêtes, des réunions, des commissions, des statistiques dont les résultats étaient connus d'avance.
- Des solutions administratives locales du type « j'voudrais bien, mais j'peux point ».
- Des solutions régionales, guère plus performantes : « Expliquez-nous vos besoins, nous vous expliquerons comment vous en passer. »
- Des solutions finales comme la fermeture d'établissements entiers avec leurs services d'urgence dans Paris, sans attendre que l'hôpital européen George-Pompidou soit ouvert et malgré l'engorgement désespéré des hôpitaux alentour.
Quelles solutions ?
Nous demandons aux administrations hospitalières, et notamment à l'AP-HP, d'intégrer davantage les besoins de proximité des personnes âgées dans les projets de restructuration. Nous demandons la transformation des lits fermés en Ile-de-France, jugés excédentaires par l'ARHIF, en lits de court séjour de médecine polyvalente et le développement des structures gériatriques intégrées dans un véritable réseau, capables d'accueillir et de prendre en charge les personnes âgées, et l'attribution de moyens humains et matériels supplémentaires nécessaires à leur fonctionnement.
Nous demandons, encore et toujours, des moyens supplémentaires pour les services d'urgence pour accueillir et prendre en charge tous les patients, sans distinction d'âge ou de pathologie. Peut-être pourrons-nous alors satisfaire les exigences croissantes de la société et du législateur.
Ces solutions ont un coût. Mais, comme nous l'annonce Bernard Kouchner, qui se voulait peut-être rassurant : « Il faut avoir l'argent de la politique de santé et non faire la politique de l'argent de la santé » (« le Monde », 28 mars 2001). Comprenne qui pourra. Et puis la restructuration désastreuse de l'offre de soins que l'on observe autour des urgences risque de coûter bien davantage en termes de qualité des soins, en démotivation des personnels hospitaliers, voire en poursuites judiciaires. Mais il est connu que les vrais responsables sont rarement poursuivis.
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