Le maire offre son indemnité au futur médecin

Union sacrée à La Ferrière pour trouver un généraliste

Publié le 02/05/2007
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de notre envoyé spécial

ÇA L'A PRIS un matin d'avril : «J'avais passé la nuit presque sans dormir, à réfléchir au moyen de faire venir un médecin dans notre commune. Et puis, à l'aube, je me suis dit qu'en proposant mes indemnités d'élu on parlerait peut-être plus de La Ferrière.» Pari gagné. Quand Jean-Jacques Hubert, qui en est à son deuxième mandat de maire de La Ferrière-sur-Risle (une petite bourgade de l'Eure qui compte 250 habitants), a proposé ses indemnités (environ 600 euros par mois) à tout médecin généraliste qui viendrait s'installer dans sa commune, les médias ont largement répercuté l'affaire.

Située à équidistance d'Evreux et de Bernay, et à dix kilomètres de Conches, La Ferrière est un charmant village comme on n'en fait plus guère. «C'est une des plus petites communes de France par sa surface», commente Jean-Jacques Hubert. En effet : avec 17,3 hectares pour 250 habitants, La Ferrière n'a guère la place d'héberger d'exploitation agricole. Mais qu'importe : avec une grande place de village abritant en son centre de belles halles du XIVe siècle, ainsi que d'anciennes forges et une église de la même époque, et bordée de charmantes maisons normandes toutes réhabilitées, le village a fière allure. «D'autant, ajoute Jean-Jacques Hubert, que c'est un village bien vivant, avec tout ce qui fait un centre-ville.» Effectivement, la Ferrière abrite un bureau de poste, un groupe scolaire (qui va de la maternelle jusqu'au CM2), une pharmacie, une infirmière, un kiné, un ostéopathe, une supérette, un garagiste, un boulanger, un coiffeur, et même un antiquaire. Il n'y manque qu'un généraliste…

Pourquoi toutes ces infrastructures dignes d'un chef-lieu de canton ? «Parce que, répond Jean-Jacques Hubert, la Ferrière est entourée par trois autres villages, Sébécourt, La Houssaye et Ajou. Si on additionne les populations de ces quatre villages qui se jouxtent, on dépasse les mille habitants.» Et La Ferrière est idéalement située au centre de cette « conurbation ».

Tous avec le maire !

Direction l'auberge du Vieux Marché, où Jean-Jacques Hubert a précisément rendez-vous avec Raymond Davoust et Philippe His, respectivement maires de Sébécourt et de La Houssaye. Ces trois maires s'entendent comme larrons en foire. Raymond Davoust et Philippe His saluent comme il se doit l'initiative de Jean-Jacques Hubert : «Le plus proche médecin se trouve sur la commune du Fidelaire, indiquent-ils en choeur. Elle ne se trouve qu'à trois kilomètres, mais le problème est ailleurs car le médecin du Fidelaire est débordé; on attend parfois huit jours pour un simple rendez-vous.»

Un propos repris par le kinésithérapeute de La Ferrière qui déjeune à la table d'à côté : «On est tous avec le maire, indique Claude Boucher. Le médecin qui viendra s'installer ici sera bien reçu, et il aura du travail, vous pouvez me croire.» Dans l'auberge, tous les clients semblent partager ce point de vue. Même l'aubergiste opine du chef avec une mine entendue.

Les trois maires vont ensuite inspecter le cabinet médical que la mairie se propose de mettre à disposition du généraliste. Gratuitement la première année, puis 300 euros par mois ensuite. Le local, pimpant, est installé dans l'ancien presbytère, juste en face de l'église, sur la place principale de La Ferrière. Il dispose d'une entrée, d'une salle d'attente, d'un grand cabinet de consultation, d'une salle d'eau et d'une cuisine. C'est simple, propre et lumineux. « Le tout disposé de telle manière,précise fièrement Jean-Jacques Hubert , que le patient qui sort ne croise pas celui qui arrive.»

Candidatures.

Du cabinet médical à la mairie, il n'y a qu'un pas que Jean-Jacques Hubert invite ses collègues à franchir. Dans la première salle de la petite mairie, on peut encore voir l'isoloir qui a servi lors de l'élection présidentielle. Dans le bureau attenant, qui est celui du maire, règne un joyeux capharnaüm. Mais Jean-Jacques Hubert tient absolument à montrer les réactions à son annonce. Un médecin algérien lui propose notamment ses services : il a fait ses études de médecine en France et se verrait bien y retourner. Jean-Jacques Hubert exhibe fièrement les courriers qu'il a reçus, lorsque le téléphone sonne. C'est une femme médecin qui appelle de Bourgogne pour proposer ses services, et les yeux de Jean-Jacques Hubert s'allument. Il l'invite à lui adresser rapidement un courrier détaillé et lui promet de la recontacter très prochainement.

Retour vers l'auberge du Vieux Marché, qui semble constituer l'annexe de la mairie. En chemin, Danièle Gibourdel, l'ancienne propriétaire de la supérette, arrose ses fleurs devant sa maison. Attend-elle avec impatience un nouveau médecin dans le village ? «Les médecins du coin sont débordés, regrette-t-elle , et on attend parfois quatre ou cinq jours pour un rendez-vous. Nous vivons avec une personne âgée à la maison, et ça nous cause vraiment du souci. Tout le village attend le docteur, vous verrez comment il sera accueilli.» Avant de retourner à ses fleurs, elle ne peut s'empêcher de demander : «Vous croyez qu'on va en trouver un?»

A l'auberge du Vieux Marché, les trois maires sirotent leur café tout en ressassant les nombreuses contraintes qui leur sont imposées par l'administration territoriale. Pendant ce temps-là, à la pharmacie, Claude Graindorge, qui prend sa retraite dans deux ans et a déjà trouvé un successeur pour sa pharmacie, fait l'apologie de ses clients : «Ils sont très agréables et hyper-fidèles. Ils me disent d'ailleurs que, même si les médecins des villes d'à côté font vraiment tout leur possible, ils sont débordés et ne peuvent souvent donner un rendez-vous qu'avec un certain délai.» Si bien que, pour lui, «c'est clair, il y a de la place pour un médecin à La Ferrière». Claude Graindorge ajoute d'ailleurs que, s'il compte rester jusqu'à sa retraite à La Ferrière, «c'est évidemment parce que je m'y plais».

On dirait le Sud…

A l'auberge du Vieux Marché, Jean-Jacques Hubert est toujours à la terrasse, saluant un administré, discutant avec un commerçant, téléphonant à tel ou tel, et regardant en permanence les jolies façades des maisons normandes avoisinantes avec les yeux de Chimène. Il est ici dans son élément. Ce maire atypique, au physique d'éternel jeune homme, était un ami de Nino Ferrer, avec lequel il a, paraît-il, fait les 400 coups dans sa jeunesse. Artiste de chanson française lui-même, Jean-Jacques Hubert chante à l'occasion le répertoire de son ancien copain, et devrait prochainement se produire un peu partout en France dans un concert-hommage à Nino Ferrer. Une passante dit tout le bien qu'elle pense de son maire : «Il fait vraiment tout ce qu'il peut pour nous. Je pense qu'il va nous en trouver un, de médecin. Et avec tout le travail qu'il aura, j'espère que ce médecin aura l'élégance de ne pas exiger l'indemnité du maire.»

> HENRI DE SAINT ROMAN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8159