NATURE DES LIENS noués entre un patient atteint d’un cancer et son médecin, problème de la distance et de la vérité, de l’annonce du diagnostic, de la décision thérapeutique ou de l’abstention, questions qui dérangent le médecin tandis qu’elles tenaillent le patient, telles que les désagréments des traitements, leurs prix, leur intérêt ou les éléments du pronostic sont successivement abordés par Elisabeth Lucchi-Angellier et Anne Matalon. La première, cancérologue à Chartres, s’est beaucoup intéressée à l’éthique de la relation médecin-malade et de la recherche clinique ; la seconde, philosophe et romancière, avait fait part d’une première expérience de la chimiothérapie dans « Chimiofolies ». Toutes deux abordent le sujet avec finesse et sans langue de bois en soulignant, pour chaque dimension et phase de la prise en charge du cancer, les difficultés du point de vue du médecin puis de celui du malade.
Si la question de l’engagement humain du médecin dans la relation thérapeutique ne saurait être remise en cause, elle engendre aussi des difficultés, explique E. Lucchi-Angellier, car «la relation est aussi au centre de la décision médicale, ce qui rend celle-ci ni aussi simple ni aussi scientifique qu’on le pense». Parfois écartelée entre le souci de respecter la fameuse «autonomie» du patient et celui de le soutenir, la cancérologue a une tâche difficile, comme elle le détaille dans un chapitre consacré à « La décision médicale, entre le doute, le risque et l’espoir ». L’autonomie du malade est profondément modifiée par la maladie, notamment dans sa rationalité, c’est pourquoi le respect strict de cette supposée autonomie, du moins dans la recherche à tout prix d’un consentement éclairé aux soins, est discutable. «Dans le discours actuel, n’y aurait-il pas comme une simplification qui confine à la tricherie?» interroge la cancérologue, avant d’analyser comment et pourquoi le praticien décide d’informer son patient et d’expliquer que les sources de la réflexion éthique ne se cherchent pas forcément aux extrêmes.
De la théorie à la réalité du terrain.
Il est toujours possible de respecter la personne, sa dignité, à défaut de considérer que son «autonomie» est concrète, comme si le sujet malade était extérieur à sa souffrance, «propriétaire de son corps et décideur de ce qui doit être appliqué ou non à celui-ci dans une relation égalitaire avec son médecin». Tenir compte de sa biographie, du sens qu’il a donné à sa vie. Précisément parce que le séisme provoqué par la maladie modifie la donne, bouleverse les capacités de réception du sujet malade, ainsi que l’explique avec pertinence Anne Matalon dans le chapitre « L’espoir, le leurre et la vérité ». En trois pages, tout est dit du changement de dimension dans laquelle la maladie précipite, de l’impact et de l’intensité du choc provoqués par des données brutes et concrètes sur la pathologie et de l’espoir suscité en réaction. «Le choc contracte en vous, au maximum, un ressort qui, à l’instant suivant (c’est-à-dire une heure, ou une semaine, ou un mois après) , se détend avec d’autant plus de force qu’il a été contracté et c’est l’espoir (...) Moins on a de raison d’espérer, plus l’espoir est espoir.» Et que dire du bien-être ressenti à l’arrêt même temporaire des divers traitements qui «rendent malades». Comment, dans ces moments, faire autre chose que d’espérer ? «Lorsqu’il fait très beau, on a des réticences à mettre des vêtements de pluie dans les bagages», écrit-elle avec finesse. De même que, comme le développent chacune à leur façon E. Lucchi-Angellier et A. Matalon, la vérité est fluctuante, multiforme, et la dire ne doit pas revenir à se décharger d’un fardeau sur le patient ; obtenir le consentement du patient ne signifie pas l’abandonner à sa propre responsabilité ni se limiter à l’application mécanique d’une règle de droit.
Pierre le Coz, philosophe, membre du Comité consultatif national d’éthique, l’explique parfaitement dans un des chapitres sur le consentement et les dilemmes éthiques en cancérologie de l’ouvrage sur le consentement dirigé par Jean-Paul Caverni et Roland Gori. Cette question cardinale et quasi quotidienne de toute démarche médicale pose autant de problèmes éthiques que juridiques. Philosophes, juristes, psychanalystes, chercheurs en sciences humaines réunis par Jean-Paul Caverni et Roland Gori proposent des points de vue divers sur le sujet pour dresser un panorama des questions posées par ce concept.
D’où vient ce concept de consentement libre et éclairé, n’est-il pas d’autant plus mis en avant que notre société tend à marchandiser l’être humain ? Posé à l’origine à Nuremberg comme recommandation éthique pour les essais thérapeutiques, le consentement a été inscrit dans la loi de protection des personnes dans la recherche biomédicale depuis 1988 (loi Huriet-Sérusclat) puis étendu à toute situation de soins par la loi sur le droit des malades (loi Kouchner 2002).
L’ouvrage ne limite pas, bien sûr, son évocation du sujet à la cancérologie, mais les particularités de la relation médicale qui s’établit dans cette spécialité en font un paradigme incontournable. A partir du cancer, Marie-José del Volgo, Sylvain Missonnier, Cédric Mercier ou Roger Favre proposent leur analyse de ce concept, bien moins limpide qu’il n’y paraît.
Elisabeth Lucchi-Angellier, Anne Matalon, « Apprivoiser le crabe. Un médecin et une malade face au cancer », Phébus, 202 pages, 16,50 euros.
« Le consentement. Droit nouveau du patient ou imposture ? », sous la direction de Jean-Paul Caverni et Roland Gori, Champs libres, 206 pages, 25 euros.
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