DES PIÈCES d’Henrik Ibsen (1828-1906), relativement souvent représentées, « Solness, le Constructeur » est l’une des plus énigmatiques. Elle fut créée en France par Lugné-Poë dès 1894, aux Bouffes-du-Nord, deux ans après sa publication. La mettant en scène, Hans Peter Cloos en propose une vision radicale, appuyée sur l’adaptation sans fioritures de Martine Dolléans. Le grand dramaturge norvégien supporte ce traitement de choc pour peu que l’on oublie la Scandinavie, la rigueur protestante, les rigidités du XIXe siècle, les fjords et les trolls.
On est dans un univers contemporain, apparemment. Mais c’est un leurre : les ordinateurs seraient partout dans un cabinet d’architecte aujourd’hui, a fortiori, c’est l’une des souffrances de Solness, dans les bureaux d’un « constructeur ». Ici, on dessine, on fait les comptes à la main… Cet espace de Jean Haas est en accord avec le propos du metteur en scène. La terrible violence qui court sous l’apparence lumineuse, on l’entend comme jamais.
Chacun est hanté par un passé qui ne veut pas se dissiper. Solness (Jacques Weber, impressionnant) est angoissé par l’âge, effrayé par le jeune Ragnar Brovik (Thibault Lacroix, singulier, excellent), fils de l’architecte qu’il emploie et qu’il a écrasé, Knut Brovik (Jacques Marchand, émouvant). Il se sent menacé. Il manipule la fiancée du jeune homme, Kaja Fosli (Nathalie Niel, très juste. Son épouse, Aline (édith Scob ou la perfection), tiraillée entre un ressentiment ancien – il a dépecé le domaine familial –, une souffrance de névrosée – elle regrette plus la disparition de ses poupées dans un incendie que la mort de ses bébés jumeaux –, une jalousie compréhensible, oscille entre l’ironie blessée et le sens du devoir. Surgit la jeunesse qui, enchante le Constructeur tout en étant pourtant l’instrument de la fatalité. Hilde Wangel (Mélanie Doutey, lumineuse et musicale) est demeurée accrochée à une promesse de l’adulte Solness à la jeune adolescente qu’elle était. Elle demande des comptes. Et ce sera, littéralement, la chute.
La pièce est passionnante et il faut écouter : toute réplique est lourde de sens, d’informations, mais on ne comprend tout que vers la fin. Hans Peter Cloos dirige avec fermeté, tout en inventant mille et un détails de jeu qui confortent le propos d’Ibsen. Jacques Weber, dans la maturité de son art, grand ogre méchant, homme démuni, pris par l’effroi de pensées contradictoires, est fascinant. C’est le spectacle sans concession d’une pièce passionnante pour qui aime théâtre, psychanalyse, opacités des âmes.
Théâtre Hébertot (tél. 01.43.87.23.23 et 08.92.70.77.05), à 21 heures, du mardi au samedi, en matinée le samedi à 17 h 30 et le dimanche à 16 heures . Durée : 1h50 sans entracte. Le texte-programme est publié avec un dossier documentaire par « l’Avant-scène Théâtre » (12 euros).
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