C'était pour le moins inattendu : au cours de l'examen en première lecture des crédits de son ministère par l'Assemblée nationale, Jean-François Mattei n'a pas exclu la possibilité, à partir de 2013, de prendre « des dispositions plus contraignantes » en matière de démographie médicale : « Nous augmentons le numerus clausus de 900 places en deux ans, a-t-il indiqué ; mais où vont s'installer ces médecins ? Dans la mesure où la liberté d'installation aboutit à compromettre l'égalité d'accès aux soins, nous prenons des mesures incitatives fiscales et financières, représentant 10 000 euros par an pendant cinq ans, et si cela ne suffit pas, nous devrons prendre des dispositions plus contraignantes : si, au 1er septembre 2013, les méthodes incitatives n'avaient pas permis de modifier la situation, de nouvelles modalités d'installation devront être définies », des modalités qui, toujours selon le ministre de la Santé, devront « faire l'objet d'une forte concertation ».
Ses propos ne sont pas passés inaperçus dans les syndicats de médecins libéraux. Pour Michel Chassang, président de la CSMF (Confédération des syndicats de médecins libéraux), il s'agirait « d'une révolution : la priorité des priorités, estime-t-il, c'est de mettre en place des mécanismes incitatifs par discipline, et non de faire du coercitif. Les mesures incitatives prévues par le gouvernement n'ont même pas encore été essayées. Malheureusement, ces mesures sont trop homéopathiques pour être réellement incitatives. Nous, nous disons qu'une mesure incitative, c'est, par exemple, les honoraires majorés, comme ça se fait dans certains endroits du Québec ».
Mais malgré tout, le président de la CSMF se veut prudent : « Je ne dis pas qu'il ne faudra pas un jour, peut-être, prendre des mesures autoritaires. Mais utilisons d'abord tout l'arsenal incitatif possible, et surtout, ne touchons pas à la règle du jeu pour ceux qui sont déjà dans les tuyaux. » Michel Chassang souligne l'effet pervers d'éventuelles mesures de régulation à l'installation : « Cela instituerait une rente de situation pour ceux qui ont pu s'installer dans les bonnes zones : leur cabinet vaudrait une fortune, alors que dans les zones déshéritées, il ne vaudrait pas une clopinette. » Et Michel Chassang de conclure : « S'il fallait un jour en arriver là, il faudrait que ce système d'installation régulée soit géré par les médecins libéraux eux-mêmes, et non par l'Etat. »
Au SML (Syndicat des médecins libéraux) de Dinorino Cabrera, le ton se fait plus précis : « Cela fait des années que je demande qu'on prévienne les étudiants qui commencent leurs études de médecine que rien ne prouve que les règles de l'installation ne changeront pas un jour ; enfin un ministre qui le dit ! En effet, il est certain que si l'incitation ne suffit pas, il faudra bien faire quelque chose, et les mesures actuelles d'incitation sont un peu faibles. »
Dinorino Cabrera précise que la France est le seul pays d'Europe dans lequel « les médecins s'installent où ils veulent, quand ils veulent », et ajoute : « Il faut une réflexion collective, car dix ans d'études payées par la collectivité sans aucune exigence en retour, c'est peut-être excessif. D'ailleurs, il n'est pas interdit d'imaginer qu'on combine à terme incitation et obligation. Par exemple, on pourrait imaginer que les cinquante premiers étudiants reçus à leurs examens puissent aller s'installer où ils veulent et qu'il soit demandé aux autres de commencer par s'installer dans des zones à faible densité médicale, avec une sorte de prime mensuelle qui leur serait versée par l'état pour compenser leurs faibles honoraires ».
Enfin, pour Charles Descours, qui avait été chargé par Jean-François Mattei d'un rapport sur la démographie médicale au printemps dernier, les propos du ministre ne sont pas une source d'étonnement : « C'est ce que j'ai toujours dit, même si dans mon rapport, je n'ai proposé aucune mesure coercitive, car, à l'époque, ça n'était pas le choix du ministre. L'Etat a le devoir régalien d'assurer l'accès aux soins pour tous sur l'ensemble du territoire, et ce qu'a dit Mattei va dans ce sens : il ne s'agit pas de mettre le feu aux poudres syndicales, mais d'entamer une réflexion responsable. » Charles Descours reconnaît malgré tout qu'il ne s'attendait pas à ce que le ministre mette aussi clairement les pieds dans le plat : « Cela m'a un peu surpris, et je ne suis pas le seul ; c'est le genre de sujet auquel tout le monde pense, mais dont personne ne parle jamais. »
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