La protection de l'enfance gagne du terrain. La loi du silence, dont bénéficient encore des bourreaux d'enfants, n'est plus ce qu'elle était. On compte quelque 22 000 signalements d'enfants maltraités par an, parmi lesquels 3 % à l'initiative du corps médical. Les lois du 10 juillet 1989 sur la maltraitance et du 17 juillet 1998, qui fait obligation à la justice de soigner et de suivre gratuitement les mineurs ayant subi des violences sexuelles, ont permis d'insuffler un esprit d'assistance à l'enfance en danger, même si les moyens mis en uvre restent insuffisants.
A l'hôpital pédiatrique Armand-Trousseau (350 lits environ), de l'Assistance publique de Paris, on est passé de la prise de conscience, avec la présence d'un responsable Droits des enfants et d'une cellule Enfance maltraitée (1991), à l'action. Dès septembre, l'établissement pourra soigner et suivre les victimes de violences physiques, psychologiques et sexuels, grâce à une unité d'accueil pour jeunes victimes (UAJV).
Une consultation ouverte
aux moins de 18 ans
Placé sous la responsabilité du Dr Jean-Luc Charritat, le nouveau service médical de Trousseau animera une consultation gratuite, sur rendez-vous, du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h, sans que soit attribué automatiquement un lit d'hospitalisation. « La consultation est ouverte sur l'extérieur de l'hôpital, tandis qu'il continuera de s'occuper des situations de maltraitances qui arrivent aux urgences », précise le pédiatre.
Elle se caractérise par un triple contrat, fondé sur la pluridisciplinarité de l'équipe. Une assistante sociale passera en moyenne trois heures avec la victime accompagnée de ses parents, ou de l'un des deux, voire de son tuteur légal, au même titre que le pédiatre et le pédopsychiatre ou le psychologue. En dehors des représentants légaux de l'enfant, l'UAJV ne peut être opérationnelle : « Avec la grand-mère d'une petite victime, je ne suis pas autorisé à intervenir », dit au « Quotidien » le Dr Charritat. Cela étant, l'unité entend s'adresser à tous les mineurs, en dépit de la réglementation selon laquelle les services de pédiatrie sont réservés aux jeunes âgés de 15 ans et 3 mois et moins. Il n'est pas exclu que les ministères de la Justice et de la Santé mettent prochainement en adéquation les notions de mineur légal et de mineur hospitalisé.
Une évaluation en une journée
Lors du premier contact avec la victime, les professionnels de l'UAJV s'engageront à effectuer, en une journée, une évaluation de la situation, qui sera transmise aux représentants légaux et aux éventuels demandeurs de la consultation (médecin, enseignant, juge, éducateur). En cas d'accord des parents, une prise en charge sera effectuée sur le site, et un suivi pédiatrique et/ou social et/ou psychologique sera proposé. Le suivi donnera lieu à un partenariat avec des intervenants extérieurs, qui font souvent la demande de consultation. Le Dr Jean-Luc Charritat souhaite une collaboration active avec la PMI, l'Aide sociale à l'enfance, l'Education nationale, la Protection judiciaire de la jeunesse, les médecins de ville (généralistes, pédiatres, psychiatres), les services sociaux, les institutions de placement, les associations de protection de l'enfance, ou encore le 119 (Allo Enfance maltraitée).
Un centre de référence
pour les professionnels
L'UAJV est également un centre téléphonique (01.44.73.54.13) de conseils et de référence pour les professionnels. Elle n'exclut pas de devoir procéder à des signalements. « Il nous arrive d'avoir à faire face à l'auteur de violences, qui n'a pas la perception d'être un bourreau », reconnaît le Dr Charritat.
A raison de quarante-cinq semaines de fonctionnement annuel et de 15 jeunes vus tous les cinq jours ouvrables, 700 des 1 200 enfants en danger de la capitale seraient ainsi soutenus et secourus par l'UAJV. Sept cents mineurs, dont près de 40 % sont l'objet de sévices sexuels ou de suspicions, relève le pédiatre, qui tient à faire remarquer combien les statistiques officielles sous-estiment ces maltraitances criminelles passées sous silence par les victimes elles-mêmes. « L'idéal, bien sûr, ajoute le praticien, serait d'avoir des effectifs deux fois supérieurs à ce qui nous est promis, notamment grâce à un redéploiement au sein de l'hôpital. » (1)
Unique en France, l'UAJV, « qui n'est pas "le" centre de maltraitance parisien », pourrait servir d'exemple à d'autres structures hospitalières. A la chancellerie, on estime que chacune des 30 unités médico-judiciaires - UMJ (2), pour adultes et enfants sans distinction, devrait être associée à une unité d'accueil pour victimes. C'est ainsi qu'Armand-Trousseau va être doté, dès septembre, d'une unité médico-judiciaire pédiatrique, dirigée par le Dr Caroline Rey.
(1) Les locaux et le poste de pédiatre sont mis à la disposition de l'UAJV par l'AP-HP, et l'assistante sociale par l'Aide sociale à l'enfance (Ville de Paris).
(2) C'est l'Hôtel-Dieu à Paris qui dispose de la plus importante UMJ, avec 50 000 gardés à vue et victimes vus sur réquisition (mission d'expertise) par an, sur un total national de 150 000. Viennent ensuite Bobigny, 22 000, et Pontoise et Ivry, 15 000 chacune.
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