La vie d'une démocratie n'est pas exclusivement définie par son principe fondateur : un homme, une voix. L'application de ce principe a donné lieu, en France et dans le monde, à la création de systèmes électoraux extrêmement variés.
Le premier facteur de cette diversité, c'est la loi fondamentale, c'est-à-dire la Constitution. Par exemple, le mode de scrutin est forcément différent dans une fédération et dans un Etat centralisé. La France, dont l'unité est millénaire, a donc commencé par un découpage territorial. Elle a prévu des élections générales (ou législatives), des régionales, des cantonales et enfin des européennes ; et chacun de ces types d'élection obéit à des procédures différentes. La Ve République, hostile à ce que de Gaulle appelait la « politique des partis » a mis au point un système majoritaire à deux tours qui permet de dégager une majorité forte, pas tellement éloigné, dans son essence, de la présidentielle américaine, caractérisée par l'expression winner take-all, c'est-à-dire que la majorité d'un Etat donne tout l'Etat au candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix ; de sorte que les voix qui se sont portées sur l'autre candidat ne comptent pas et ne lui bénéficient pas.
Juste et injuste
Ce système est objectivement « injuste », parce qu'il lamine les petits partis. En 2000, c'est de cette manière qu'Al Gore a été battu avec une majorité populaire, mais une minorité de « grands électeurs ». Seule la proportionnelle, telle qu'elle a été longtemps appliquée en Italie et telle qu'elle est encore appliquée en Israël est parfaitement juste. Mais elle a rendu ces deux pays ingouvernables et aggravé leur instabilité politique. En revanche, le scrutin majoritaire a l'avantage de donner au parti au pouvoir une majorité durable qui lui permet d'appliquer son programme pendant une période définie, comme la gauche l'a fait de 1997 à 2002 et comme la droite le fait en ce moment.
Pour que les mouvements fantaisistes et insignifiants ne troublent pas le jeu politique, on a créé des seuils de pourcentage qu'un parti doit franchir pour rester en lice au second tour. Le gouvernement, qui vient de présenter un projet de réforme du scrutin des européennes et des régionales, veut augmenter ces seuils. Ce qui aura pour effet d'écarter nombre de partis, puisque, en gros, le seuil retenu n'est plus de 5 % mais de 10 %.
Sont ainsi visés tous les partis, Verts, communistes, UDF et autres, qui risquent fort de ne pas avoir les 10 % requis au premier tour. D'où la tempête déclenchée à l'Assemblée national par la réforme du scrutin. Mardi dernier, les passions étaient telles au sein de l'hémicycle et les cris si assourdissants que le débat a été impossible. Et à cette cacophonie s'est ajoutée une telle pléthore d'amendements (12 000 !) qu'il fallait bien prendre une mesure d'ordre. Face à la « chienlit », le gouvernement Raffarin a donc décidé de passer en force. Il a obtenu du président le recours à l'article 49 bis de la Constitution qui lui permet de demander la confiance.
Il l'obtiendra sans peine : la gauche votera la censure, mais pas l'UDF et, de toute façon, l'UMP a la majorité absolue. Voilà bien une façon expéditive de régler le débat. La proportionnelle n'est sûrement pas la panacée : elle conduit à des alliances contre nature ou à des renversements d'alliances, elle transforme en arbitres des partis minuscules, et elle a permis au Front national de faire entrer une soixantaine de députés à l'Assemblée nationale quand Mitterrand en a fait le mode de scrutin des législatives, ce que beaucoup de démocrates ne lui ont jamais pardonné. Si on recherche la stabilité politique, on ne peut pas préconiser la proportionnelle, et surtout pas pour la présidentielle ou les élections générales qui définissent la gestion du pays pour les cinq ans à venir.
Mais ce supplément de démocratie qu'offre la proportionnelle n'est pas insupportable quand l'enjeu est la gestion locale (même si la régionalisation exige elle aussi que les décisions soient prises promptement) ou la représentation du pays au Parlement de Strasbourg.
Pour les européennes, le gouvernement veut régionaliser le scrutin afin, dit-il, que les sensibilités régionales soient mieux représentées ; et il est tout à fait vrai que l'Europe se renforcera de la coopération entre régions, sans passer par les capitales, parce qu'il y a des complémentarités directes entre le Sud-Est français et le Nord de l'Italie, ou entre l'Ile-de-France et la Bavière, ou encore entre l'Aquitaine et la Catalogne.
Mais en même temps, comment ne pas voir l'évidence, à savoir que l'UMP veut non seulement regrouper en son sein toutes les composantes de la droite (au point de devenir intolérante à l'égard de l'UDF) mais gouverner tout à la fois la France, ses départements et ses régions ?
L'appétit du carnassier
Il y a quelque chose de carnassier dans cet appétit de pouvoir, de sorte qu'on en viendrait presque à comparer la manipulation des modes de scrutin à ce qu'on voit dans certaines républiques à parti unique. Dieu sait que cette uniformité ne convient pas aux Français, qui ont soixante millions d'avis divergents, et qui ont besoin d'exister individuellement sur le plan politique. Une minorité doit être respectée et on ne peut pas s'employer à l'étouffer sans être guidé par une volonté hégémonique.
Cependant, ce qui semble aujourd'hui si utile à l'UMP peut un jour se retourner contre elle. Certes, elle espère non seulement affirmer son pouvoir dans tous les coins de la France, mais prolonger la durée de ce pouvoir à la faveur des scrutins intermédiaires entre deux législatives ou deux présidentielles. Mais si elle perd les élections générales en 2007, ce qui ne serait nullement surprenant, compte tenu de la fréquence des alternances, le nouveau mode de scrutin se retournera contre elle et renforcera alors le Parti socialiste, sinon les partis satellitaires qui formaient autrefois la gauche plurielle. Il y a un précédent : Lionel Jospin a fait voter la réduction du mandat présidentiel, c'est Chirac qui a été réélu et qui, s'il le souhaite, peut briguer un troisième mandat en 2007. Aujourd'hui, les socialistes votent la censure au nom de la morale politique, mais ils ne sont pas la cible du changement de scrutin, justement parce qu'ils représentent le premier parti de l'opposition.
Dans ces conditions, la démarche apparaît à la fois comme agressive (principalement à l'égard de l'UDF) et risquée. L'UMP est un mouvement qui ne plaisante pas, mais qui semble bien téméraire.
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