« L'Adversaire », d'après Emmanuel Carrère

Une troublante ambivalence

Publié le 29/04/2003

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Théâtre

Un homme, seul en scène. Pieds nus, à nu, démuni. N'ayant que les mots pour tenter de nous faire partager et comprendre et son trouble, et, par-delà son récit, celui de l'homme qui le fascine, le hante étrangement. L'adversaire ? Satan des Ecritures. Est-il cet homme qui a fait la une des pages faits divers et qui fait vaciller le cur et la raison de celui qui parle, l'auteur. Emmanuel Carrère, écrivain et journaliste, père comblé de deux jeunes enfants qui est littéralement saisi par cette histoire, ce destin, cette personnalité. Ou bien est-il l'ennemi du dedans, l'adversaire ? Celui contre lequel Romand n'a pu lutter. Celui dont se défend Emmanuel Carrère et qu'il reconnaît en Romand ?

Ce livre, ce récit (publié chez P.O.L. et disponible en Folio) n'est pas la simple chronique d'une tentation, d'une curiosité pour le sang, l'excès. Carrère va directement à la métaphysique. Il sait trop le cur, la tête de l'homme incompréhensibles. Il va au-delà. C'est tout l'intérêt de cette transcription scénique très réussie de Sylvain Maurice qui dirige avec une précision bouleversante Eric Challier.
L'épouvantable compassion que développe tout être humain un peu épris de complexité pour Romand. Ces années à attendre sur des parkings, dans sa voiture ; le mensonge soutenu ; les mensonges développés nourris jusqu'à ne plus savoir soi-même où l'on en est, par exemple. Et tout ça pour un premier petit mensonge d'étudiant... Cela donne à chacun le vertige car chacun a connu la tentation équivalente. Mais sans aller jusqu'à connaître l'Adversaire. L'épouvantable compassion et la lucidité de Carrère, qui se reprend ou se déprend, même chose ici. Et nous, face à l'acteur, extraordinaire qui dit cela. En toute pudeur.

Théâtre de la Commune d'Aubervilliers, à 20 h 30 du mardi au samedi et le dimanche à 16 h. Durée : 1 h 05 (01.48.33.16.16). Jusqu'au 16 mai. Autres spectacles de Sylvain Maurice à l'affiche : du 6 au 16 mai, « Ma chambre », pour 15 spectateurs et « Plume », de Henri Michaux, double célébration du poète.

A. H.