De notre correspondante
à New York
PLUS D'UN AN après l'émergence mondiale du sras, causé par un nouveau coronavirus, des incertitudes demeurent sur son mode de transmission. Comme la plupart des infections respiratoires contagieuses, il est probablement transmis par le biais des gouttelettes de salive projetées sur de courtes distances ou par contact avec des surfaces contaminées. Mais pourrait-il également être transmis par des aérosols en suspension dans l'air ?
Yu (université chinoise de Hong Kong) et coll. ont étudié l'épidémie de sras survenue en mars 2003 dans la résidence Amoy Garden, à Hong Kong. Leur analyse plaide fortement en faveur d'une transmission aéroportée du coronarovirus.
La distribution temporo-spatiale.
Les investigateurs ont analysé la distribution temporo-spatiale des 187 premiers cas survenus dans cette résidence (321 contaminations en tout), constituée de 19 immeubles de 33 étages, avec 8 appartements par palier.
Le premier patient infecté et souffrant de diarrhée a été hébergé les 14 et 19 mars chez son frère résidant à mi-hauteur de la tour E.
L'épidémie a commencé dans la tour E, le 21 mars, et dans les trois tours voisines (B, C et D), de un à trois jours plus tard. La majorité des cas sont survenus entre le 24 et le 26 mars. Plus de la moitié (99) sont survenus dans la tour E et la majorité des autres dans les trois autres tours. Le personnel, qui travaillait au rez-de-chaussée et par conséquent en fréquent contact avec les résidents, n'a pas été contaminé.
La courbe épidémique et la distribution spatiale de l'épidémie plaident donc pour une source infectieuse commune, plutôt qu'une dissémination interhumaine. A partir d'études expérimentales sur des maquettes du système de drainage, les investigateurs ont découvert qu'une énorme quantité d'aérosols est produite par les chasses d'eau en raison de la pression hydraulique créée dans les conduits d'évacuation.
Modélisation des courants d'air.
En utilisant des plans détaillés de l'immeuble E, les données météorologiques de mars pour la zone résidentielle et des logiciels de modélisation des courants d'air, les chercheurs ont pu reconstituer de façon précise les courants d'air à l'intérieur et à l'extérieur de la tour E.
Les habitants des étages moyens et supérieurs de la tour E présentaient un risque d'infection nettement plus élevé que ceux des étages inférieurs. Ce qui concorde avec l'hypothèse d'une colonne d'air chaud contaminé montant dans le puits d'aération à partir de l'appartement (à mi-hauteur) où résidait le premier patient.
Les risques d'infection dans les différents appartements de la tour E sont aussi en accord avec les concentrations de virus dans chaque appartement. Elles ont été estimées par un modèle prenant en compte les mouvements d'air entre les logements.
De même, la distribution des risques dans les tours B, C et D correspond bien à la dissémination spatiale des aérosols infectés prévue par la modélisation des mouvements d'air extérieurs.
Au travers de joints desséchés.
Les investigateurs proposent le scénario suivant : les concentrations extrêmement élevées de coronavirus dans les selles et urines du premier patient ont pu produire des aérosols infectieux dans les tuyaux de descente d'eaux usées. Ces aérosols ont pu revenir dans la salle de bain au travers de joints desséchés des siphons des conduites d'évacuation. Ils ont ensuite été aspirés vers le puits d'aération de l'immeuble. Montant avec l'air chaud, les aérosols ont pu entrer dans les appartements supérieurs bordant le puits d'aération. L'infection a pu se disséminer horizontalement aux autres appartements de la tour E par les mouvements d'air. Après avoir atteint le haut de la tour E, et sous l'effet du vent, le flux d'aérosols infectieux s'est alors disséminé vers les étages des tours B, C et D situées à une certaine hauteur.
« Cette hypothèse reste à confirmer », remarquent les investigateurs.
« Le coronavirus peut être transmis par aérosol dans certaines conditions », explique au « Quotidien » le Dr Ignatius Yu, qui a dirigé l'étude. « La dissémination par aérosol d'une source concentrée de virus peut infecter de nombreuses personnes en peu de temps. La future prévention contre le sras devra prendre en considération cette possibilité de transmission. Eviter des contacts rapprochés pourrait ne pas suffire. »
Selon Roy et Milton, deux Américains cosignataires d'un commentaire, « cette analyse suggère que le sras peut être transmis par aérosols au moins de façon opportuniste ». C'est-à-dire dans des conditions favorables, par opposition à la transmission par aérosol « obligatoire » de la tuberculose ou « préférentielle » de la rougeole ou de la variole. Cela démontre clairement le besoin d'améliorer la vigilance et les mesures de contrôle d'infection, ajoutent-ils, notamment dans les hôpitaux, les avions et les écoles.
« New England Journal of Medicine », 22 avril 2004, pp. 1731 et 1710.
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