CETTE FOIS-CI, la question enfin semble résolue. La néphropathie des Balkans est visiblement liée à un empoisonnement chronique par l'acide aristolochique.
L'étiologie de cette forme particulière d'insuffisance rénale chronique est longtemps restée mystérieuse. Tous les cas jusqu'ici décrits sont survenus chez des sujets qui ont vécu au moins quinze ans en Bulgarie, en Roumanie, en Bosnie, en Serbie ou en Croatie, dans des localités rurales situées sur les rives d'affluents du Danube. La pathologie est familiale, mais elle n'est pas héréditaire. Elle est caractérisée par une évolution insidieuse vers l'insuffisance rénale terminale, accompagnée dans près d'un tiers des cas par le développement de tumeurs de l'uretère, du bassinet ou de la vessie.
Récemment, plusieurs études ont suggéré que la maladie serait due à une exposition à l'ochratoxine A (OTA), une mycotoxine produite par différentes variétés d' Aspergillus et de Penicillium. Mais la néphrotoxicité de cette toxine n'a pas pu être clairement démontrée.
C'est la raison pour laquelle Grollman et coll. ont décidé d'explorer une autre piste, celle de l'acide aristolochique. Cette substance présente dans les plantes du genre Aristolochia est connue pour entraîner des néphropathies semblables à celle observée dans les Balkans (voir encadré). Elle exerce sa toxicité en conduisant à la formation de dommages spécifiques dans l'ADN, potentiellement mutagènes.
Les graines contaminent les récoltes de blé.
Une enquête menée dans les villages touchés par la néphropathie des Balkans a mis en évidence la présence d' Aristolochia clematitis dans les champs alentours. Il a également pu être établi que les graines de ces plantes contaminent largement les récoltes de blé. Sachant que les villageois consomment quotidiennement du pain et d'autres produits fabriqués à partir de la farine de blé locale, l'ensemble de ces observations impliquent qu'ils ingèrent continuellement une quantité non négligeable d'acide aristolochique.
Grollman et coll. ont analysé l'ADN des cellules du cortex rénal de patients souffrant de néphropathie endémique. Cette expérience leur a permis de mettre en évidence des altérations identiques à celles observées dans les cellules de patients intoxiqués à l'acide aristolochique, mais différentes de celles retrouvées chez les sujets souffrant d'autres formes de néphropathie.
Les chercheurs ont en outre étudié la séquence du gène du suppresseur de tumeur p53 dans les tumeurs développées par les patients atteints de néphropathie des Balkans. Là encore, il est apparu que le profil des mutations mises en évidence est semblable à celui attendu à la suite d'une exposition à l'acide aristolochique, mais différent de celui couramment observé dans les tumeurs du tractus urinaire.
L'ensemble de ces données est donc en faveur d'un lien entre l'exposition alimentaire à l'acide aristolochique et la survenue de la néphropathie des Balkans. Cependant, alors que tous les habitants des villages concernés ont consommé de la farine de blé contaminé par ce produit néphrotoxique, seule une partie d'entre eux déclare une insuffisance rénale. Ce détail suggère que des facteurs génétiques pourraient modifier la susceptibilité individuelle à la toxine végétale.
Grollman AP et coll. « Proc Nalt Acad Sci, USA », édition en ligne avancée.
Une préparation « d'herbes chinoises »
En 1991, des néphrologues belges ont identifié une nouvelle forme d'insuffisance rénale chronique associée à un haut risque de carcinome urothélial. Une enquête a permis de découvrir que la maladie touchait exclusivement des femmes qui utilisaient une préparation « d'herbes chinoises » dans le cadre d'un régime amaigrissant. L'analyse de ces préparations médicinales a révélé que la Stephania tetranda qu'elles étaient censées contenir avait été accidentellement remplacée par l' Aristolochia fangji. Une étude de toxicité à ensuite permis d'établir que l' Aristolochia fangji est néphrotoxique, essentiellement en raison de son contenu en acide aristolochique.
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