« NE NOUS EMBALLONS PAS » : le titre choisi par « le Monde » pour l’article de Mme Benbassa serait drôle si le drame qu’il commente n’était particulièrement douloureux. Nous ne comprenons pas très bien comment, après la mort d’un jeune homme torturé sans relâche pendant vingt et un jours, nous devrions ne pas « nous emballer ». Mme Benbassa, qui rappelle que le nombre des actes antisémites a régressé en France, ne veut pas croire que les assassins «étaient mus par une idéologie antisémite articulée». Elle n’a pas beaucoup de mal à faire cette démonstration dès lors que le « gang des barbares », comme il se désignait lui-même, était composé de brutes, auxquelles il serait absurde d’attribuer une philosophie. En revanche, quand, à la place de l’antisémitisme, elle nous propose « rien » comme motivation des mêmes brutes, elle est déjà moins convaincante.
Que vaut une vie humaine ?
De la même manière, et dans le même journal, le sociologue Michel Wiewiorka nous met en garde contre une explication du crime par des critères religieux ou raciaux. Mais au moins reconnaît-il que le discours antisémite est répandu dans les banlieues. Il admet donc que se développe en France un antisémitisme qui prend racine chez des Noirs et des musulmans, certes seulement une partie d’entre eux, probablement les plus pauvres.
Il vaut mieux, chaque fois que nous nous perdons dans les subtilités d’un raisonnement savant, rappeler les faits : le gang choisissait ses cibles, puisqu’il les faisait draguer par une fille. Il savait qu’Ilan Halimi était juif. Certes, ce n’étaient que des voyous (Fofana a déjà fait de la prison). Mais qu’est-ce qui explique qu’ils se soient acharnés contre lui pendant trois semaines et qu’ils aient pris le risque de passer de l’enlèvement à l’assassinat ? Leur cruauté ne nous semble pas séparable d’une haine spécifique. Dans le mépris que leur inspirait cette vie humaine, dans leur indifférence à la terrible souffrance d’Ilan, n’y a-t-il pas la vague idée qu’une vie de juif vaut moins qu’une autre ?
Nous ne sommes pas remis de cet acte de barbarie, et chacun d’entre nous frémit encore – et frémirait bien sûr si Ilan Halimi n’avait pas été juif. Mais nous entendons déjà les sanglots de tous ceux qui ne pensent qu’à dénoncer la misère des cités. Ils sont épouvantés à l’idée que l’ignominie d’un crime rejaillisse sur les populations issues de l’immigration. On les comprend. Mais on ne saurait se voiler la face devant un assassinat, ou feindre d’ignorer l’identité de celui qui l’a commis. Il existe un racisme antiblanc. Il existe un racisme antisémite. Si on n’admet pas qu’ils existent, il n’y a aucune chance que la société française puisse les corriger. Il se peut que le nombre d’actes antisémites ait diminué, mais qu’en est-il de la violence de ces actes et de l’identité de ceux qui les commettent ? Et pourquoi les commettent-ils ?
C'EST PARCE QUE LEUR INTEGRATION EST REUSSIE QUE LES JUIFS SONT HAIS DANS LES CITES
Une question de réussite sociale.
Il ne s’agit nullement, comme semblent le craindre les défenseurs des immigrés, de les inclure tous dans le même jugement négatif. Au contraire, les exemples de réussite sociale abondent chez les Noirs et les Arabes et quelques-uns de leurs succès sont éclatants. Mieux encore, ceux qui ont pu se faire une place au soleil représentent des modèles qui devraient stimuler les autres, et les stimulent parfois.
Il n’y a en revanche aucun espoir dans la haine, dans le crime et, bien entendu, dans un racisme destiné à compenser celui dont on est victime. L’antisémitisme d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’autrefois : d’abord, parce qu’il ne s’agit pas des mêmes groupes, ni du même genre d’intolérance ; ensuite, parce qu’il est moins animé par le mépris que par l’envie ou la jalousie : pourquoi un immigré haïrait-il les juifs, sinon parce qu’ils constituent l’exemple d’une intégration réussie, celle-là même vers laquelle tendent tous les immigrés jusqu’au moment où, saisis par le découragement, ils y renoncent ?
Le grand rabbin de France, qui a déclaré : «Désormais, il y a un avant- et un après-Ilan», a posé un repère : un crime d’une brutalité incroyable change le cours des choses, en rappelant aux juifs de France que leur sécurité peut être, à certains égards, illusoire, en dépit de la volonté de nos gouvernements de les protéger. Et au-delà de la sécurité, persiste leur sentiment que, décidément, il se trouvera toujours quelqu’un pour les détester. Alors que le communautarisme est décrit comme un danger, on aura tout fait pour renvoyer les juifs à leur communauté : après la Libération, c’était l’antisémitisme de l’extrême droite, puis ce fut celui de l’extrême gauche, puis celui de la gauche ; et maintenant celui de certains immigrés.
Ne nous emballons pas ?
Les Français juifs ne demandent qu’à être des Français comme les autres. Mais il y a toujours quelqu’un pour les désigner en tant que juifs.
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