PAR LE Dr PASCAL ROZOT*
LA MULTIFOCALITE représente un moyen classique de compensation de la presbytie, en utilisant le principe de vision simultanée qui nécessite une adaptation cérébrale. En raison du partage de la lumière incidente pour chaque foyer, il y a une réduction des contrastes, chaque foyer (loin ou près) recevant seulement une fraction de l’énergie lumineuse.
Les implants multifocaux peuvent être utilisés dans le cadre de la cataracte, en l’absence de contre-indications ; de plus en plus, il est proposé un remplacement du cristallin clair presbyope par une lentille multifocale, technique de chirurgie réfractive à part entière, afin d’apporter une vision de près et/ou une vision intermédiaire utiles sans correction, tout en maintenant ou en améliorant la vision de loin.
Les implants multifocaux diffractifs.
Il comporte 12 zones diffractives réparties sur les 3,6 mm centraux de la surface antérieure de la lentille. L’addition est de 4 dioptries, ce qui donne environ 3,2 dioptries sur plan lunettes. Il s’agit d’un acrylique hydrophobe disponible essentiellement en monobloc avec filtre jaune, mais une version « 3 pièces » peut être obtenue auprès du fabricant. La caractéristique principale de cet implant concerne l’apodisation des zones diffractives, ce qui correspond à une diminution progressive de la hauteur des marches de diffraction du centre vers la périphérie. Ce principe permet de répartir l’énergie lumineuse de la façon la plus appropriée en fonction de la lumière ambiante, afin de diminuer les phénomènes photiques et notamment les halos. L’injection de cet implant se fait par une microincision de 2 à 2,2 mm actuellement.
Pour cet implant en silicone, le réseau diffractif est placé sur la face postérieure de la lentille ; son originalité consiste en sa face antérieure, prolate, ce qui supprime les aberrations sphériques oculaires totales. L’addition est de 4 dioptries, ce qui correspond à 2,8 dioptries au plan lunettes. La diffraction est équilibrée entre la vision de loin et la vision de près avec 41 % de loin et 41 % de près. Ses haptiques en Pvdf et en « C » lui confèrent une grande stabilité ; son injection se fait par 2,8 mm.
Il s’agit d’un implant monobloc acrylique hydrophile avec traitement de surface hydrophobe, dont 65 % de l’énergie lumineuse est dévolue à la vision de loin et 35 % à la vision de près. L’addition est de 4 dioptries, soit environ 3 dioptries au plan lunettes. Le lissage des marches de diffraction tend à réduire les effets photiques. Son optique corrige les aberrations sphériques ; il est injectable par 1,8 mm.
C’est un implant 3 pièces en silicone et en Pmma, dont la constante A est de 118,6. Il est injectable par 2,8 mm. Son addition est de 3,5 dioptries, soit 2,6 dioptries au plan lunettes. La diffraction est équilibrée entre la vision de loin et la vision de près ; il présente une réduction linéaire de la hauteur des marches à partir de la quatrième zone, ce qui donne plus d’énergie lumineuse pour la vision de loin, à pupille dilatée.
Implants multifocaux réfractifs.
ReZoom (figure 5) est la nouvelle version de l’implant Amo-Array. Il présente cinq zones réfractives avec une transition asphérique. Son amélioration réside en une diminution de la largeur des zones du centre vers la périphérie, afin de réduire les phénomènes photiques (Balanced View Optics). Il est en acrylique hydrophobe et l’addition est de 3,5 dioptries, soit 2,6 dioptries au plan lunettes. L’injection se fait au travers d’une incision de 2,8 mm.
Il en existe deux autres, l’implant MF4 de Zeiss Ioltech et l’implant M-Flex de Rayner.
Performances visuelles des implants multifocaux.
Comparativement à l’implant réfractif de référence (Amo-Array SA40N), les nouveaux implants diffractifs permettent d’obtenir une vision de près sans correction nettement améliorée. La vision de loin reste en général très satisfaisante, avec des taux d’acuité non corrigée supérieurs à 5/10 dépassant 90 %, alors que la vision de près est à P2 dans 96 à 100 % des cas.
L’efficacité (acuité visuelle non corrigée de loin postopératoire sur acuité visuelle corrigée préopératoire) avec ces lentilles diffractives est de l’ordre de 0,92. En termes de sécurité (meilleure acuité visuelle corrigée postopératoire sur meilleure acuité visuelle corrigée préopératoire), on obtient 1,07 (données personnelles). Du fait du caractère plutôt bifocal des implants multifocaux diffractifs, les courbes de défocalisation objectivent une vision intermédiaire de niveau légèrement inférieur à celles de l’implant réfractif Rezoom. La sensibilité aux contrastes des implants diffractifs garde des niveaux très satisfaisants. Enfin, le port de verres correcteurs est significativement inférieur avec les nouveaux implants diffractifs. Dans une série personnelle (recul de trois ans), nous retrouvons 65 % de patients qui ne portent jamais de verres correcteurs (40 % pour l’implant SA40). Les patients porteurs d’implants diffractifs ont surtout besoin de verres en vision intermédiaire et, dans certains cas, de verres de loin teintés pour limiter l’éblouissement. L’implant ReZoom nécessite plutôt un complément en vision de près, notamment pour la lecture prolongée. En ce qui concerne les effets secondaires, des halos spontanés existent dans près de 20 % des cas, quel que soit le modèle d’implant. Il semble exister légèrement plus d’éblouissements avec l’implant ReStor et environ 10 % de l’ensemble des patients se plaignent d’une gêne significative à la conduite de nuit.
Les clés du succès de l’implantation mutifocale.
Elles passent tout d’abord par une information préopératoire circonstanciée. Il faut décrire les risques d’une phacoexérèse (fiche de la Société française d’ophtalmologie). Il faut signaler que la performance visuelle est optimale lorsque les deux yeux sont opérés, qu’il existe un temps d’apprentissage (de une semaine à deux mois), pour la vision de près, mais également pour la vision intermédiaire. Il faut préciser qu’une correction optique peut être parfois nécessaire pour certaines tâches ; enfin, il est prudent de décrire la possibilité de changer les lentilles en cas d’emmétropie postopératoire significative, ou de proposer une chirurgie réfractive complémentaire.
Le succès passe également par la qualité du résultat biométrique. Il convient d’utiliser une biométrie optique de type Iolmaster, de personnaliser la constante A. Il faut utiliser des formules de nouvelle génération : les sujets myopes répondent en général parfaitement à la formule SRK-T. Des différences peuvent exister pour les patients hypermétropes . Par exemple, si l’implant ReStor répond bien à la formule Holladay pour des hypermétropies moyennes, la formule Hoffer-Q sera préférable pour les fortes hypermétropies. Pour l’implant Tecnis Multifocal, qui est angulé et présente donc un siège plus postérieur et plus proche de la rétine, nous utilisons la formule suivante : (moyenne de la Srkt et de la formule de Haigis – 0,50 dioptrie).
Une qualité optimale chirurgicale est également nécessaire. Outre une micro-incision de l’ordre de 2 mm, avec une technique coaxiale ou bimanuelle, il faut un capsulorrhexis qui recouvre légèrement l’optique sur 360° pour éviter une légère myopisation après la cicatrisation du sac. Le polissage capsulaire doit être soigneux, et il faut procéder au retrait complet du viscoélastique, notamment sous l’implant.
Les contre-indications.
Les contre-indications absolues concernent toute pathologie oculaire avérée, qu’elle concerne la rétine ou le nerf optique, ou les pathologies neuro-ophtalmologiques, de même que les monophtalmes et les patients amblyopes. Il existe des contre-indications psychologiques (patients trop exigeants, ayant des attentes réfractives démesurées), professionnelles (pilotes, photographes, conducteurs de nuit). Les contre-indications relatives vont concerner les patients âgés, car l’on sait qu’il existe une baisse des contrastes et une adaptation cérébrale plus aléatoire. Pour les patients emmétropes, une discrète perte de la performance en vision de loin pourrait être mal acceptée. Les astigmatismes supérieurs à 1 dioptrie sont classiquement des contre-indications, mais certains proposent un geste réfractif concomitant ou différé. Enfin, en cas de pupille large, les halos seront plus gênants.
Les indications.
En ce qui concerne l’extraction de cristallin clair, la tranche d’âge optimale est entre 50 et 60-65 ans. Idéalement, ces yeux sont porteurs d’une amétropie sphérique avec intolérance définitive aux lentilles de contact. Si classiquement l’hypermétrope reste la meilleure indication, il est préférable de réserver chez le sujet myope un implant dont l’addition est de 4 dioptries, qui ne pénalisera donc pas la vision de près sans correction. Une autre indication tendant à se développer concerne les yeux ayant déjà fait l’objet d’une chirurgie réfractive. Enfin, certaines indications concernent les cas où d’autres techniques seraient contre-indiquées (par exemple le presbyLASIK en cas de pachymétrie faible). Le choix de l’implant à privilégier dépend de l’âge, de l’habitus et de l’examen. Selon les cas, on pourra privilégier surtout la vision de loin et la vision intermédiaire en proposant un implant de type ReZoom . D’autres patients seront plus demandeurs d’une vision de loin et de près prédominante, ce qui fait choisir l’implant ReStor ou l’implant AcriLisa, notamment chez le sujet plus jeune où la pupille est volontiers plus large. Une personne un peu plus âgée devrait logiquement bénéficier plus facilement du Tecnis Multifocal qui comporte une meilleure vision de près en ambiance mésopique. Enfin, certains proposent des combinaisons d’implants, avec sur l’oeil dominant un implant ReZoom, et l’oeil dominé un implant diffractif, afin d’améliorer la vision intermédiaire.
Les problèmes éthiques soulevés par l’extraction d’un cristallin clair n’étant pas résolus compte tenu de la possibilité des complications rétiniennes à moyen ou à long terme, il est nécessaire de garder un grand discernement dans les indications.
* Clinique Monticelli, Marseille.
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