Cancer invasif du col utérin

Une technique chirurgicale capable de préserver la fertilité

Publié le 31/05/2006
Article réservé aux abonnés
1276195124F_Img233084.jpg

1276195124F_Img233084.jpg

Par le Pr Denis Querleu *

L’OPERATION de Dargent répond aux exigences de la chirurgie exclusive, qui est devenue le traitement de référence des cancers du col utérin débutants. Elle est adaptée de la chirurgie élargie des cancers du col par voie vaginale, ancienne opération de Schauta, qui reproduit par voie vaginale les caractéristiques des colpohystérectomies élargies connues par voie abdominale sous le nom d’intervention de Wertheim.

La technique opératoire.

L’opération débute par une lymphadénectomie pelvienne par voie coelioscopique, également « inventée » en France. Ce temps fait partie du traitement standard des cancers du col utérin, à la fois pour des raisons thérapeutiques et diagnostiques. Il permet de vérifier l’absence de métastases ganglionnaires, soit par l’examen extemporané, soit en tant qu’opération indépendante de « stadification ».

Elle se poursuit par l’ablation par voie vaginale du col utérin, du tiers supérieur du vagin et des paramètres, comme dans l’hystérectomie élargie pour cancer du col. Mais elle se limite à cette ablation radicale du col, en conservant le corps utérin, ses vaisseaux, et les ovaires. Cette opération, dénommée « trachélectomie élargie », est suivie d’une reconstruction de la filière génitale par cerclage du col utérin, puis anastomose utéro-vaginale. La même opération a été décrite par laparotomie ou par voie coelioscopique, avec quelques grossesses, dans des équipes ne possédant pas la technique de l’hystérectomie élargie par voie vaginale ; la logique de la voie vaginale s’impose pourtant en raison du site tumoral particulièrement accessible par voie basse.

Les résultats.

La validité de l’opération imaginée par Daniel Dargent pour ce traitement conservateur est établie depuis la fin des années 90. La réunion de plusieurs séries mondiales et les résultats d’équipes canadiennes ont confirmé les espoirs du promoteur de l’intervention et démontré la sécurité de cette opération lorsqu’elle est correctement pratiquée, avec un taux de récidive de 4 % et un taux de décès de 2,5 %. Une étude canadienne cas-témoin a permis de montrer que la survie des patientes traitées de manière conservatrice (32 cas) est de 95 % contre 100 % dans un groupe témoin constitué à partir d’une série de 556 patientes. Il faut noter que seulement trois récidives sont dans la littérature mondiale directement liées à la conservation de l’appareil génital : deux récidives centrales et un récidive ovarienne. Il n’en reste pas moins que la patiente doit être informée du risque non nul de récidive paramétriale ou même générale, non lié au caractère conservateur de la chirurgie. La sélection des cas, destinée à définir un groupe de patientes dont le risque de décéder de la maladie est très faible, est donc un point essentiel. Plusieurs motifs d’exclusion sont généralement acceptés :

– tumeur de gros volume (le diamètre de 2 cm ne peut être dépassé que dans des circonstances exceptionnelles) ;

– tumeur à extension endocervicale ne permettant pas d’obtenir une marge suffisante d’au moins 8 à 10 millimètres entre la tumeur et la tranche de section cervicale, ce dernier point étant défini par la conisation et/ou l’IRM préopératoires ; il peut arriver (10 % des cas) que ce constat soit fait au cours de l’opération, qui est alors immédiatement transformée en hystérectomie ;

– atteinte ganglionnaire qui est une indication à la radiochimiothérapie sans préservation ovarienne.

La présence d’emboles lymphatiques péritumoraux (15 % de récidives) est un facteur de grande prudence, de plus large extension latérale de l’exérèse, et d’information précise dans le cadre d’un consentement éclairé. Les récidives semblent également plus fréquentes en cas d’adénocarcinome, type tumoral volontiers observé chez les femmes jeunes, et qui pour cette raison n’est pas considéré comme une contre-indication absolue.

La possibilité de grossesse.

Le motif principal du recours à cette intervention sophistiquée est l’espoir de grossesse. La fertilité de ces patientes a été vérifiée. Environ 60 % des patientes désirant une grossesse ont été enceintes, certaines à l’aide de techniques de procréation médicalement assistée. Elles ont donc bénéficié de la double modernité de l’opération de Dargent et des progrès liés à la fécondation in vitro.

L’évolution des grossesses est marquée par un risque standard d’avortement précoce et par un risque inhérent d’avortement tardif lié à la brièveté du canal cervical qui n’assure qu’insuffisamment son rôle de protection anti-infectieuse. Au début de l’expérience, le taux d’avortements tardifs était de l’ordre de 17 %, mal compensé par la fermeture chirurgicale du col en début de grossesse et par l’antibiothérapie préventive de la chorioamniotite, complication de la brièveté du col. Plus récemment, grâce à la sélection des indications et la définition d’un groupe de patientes pour lesquelles l’extension tumorale permet la conservation d’une plus grande longueur d’isthme et d’endocol (idéalement 10 mm), ce taux a baissé à 4 %. En raison du cerclage permanent, les grossesses se terminent par césarienne. A noter, quelques séquelles d’ordre gynécologique possibles : dyspareunie, pertes vaginales, algoménorrhée, sténose isthmique.

L’intervention conservatrice est donc acceptable au plan carcinologique, et donne des chances raisonnables de grossesse (plus de 100 grossesses à terme dans la littérature). L’intervention conservatrice doit donc être intégrée à la discussion chez toute femme désirant une grossesse. Elle offre un indiscutable réconfort psychologique aux femmes jeunes atteintes de cancer du col débutant. La technique n’est pratiquée en routine que dans quelques centres en France, mais l’importance de l’enjeu et la relative rareté de cette circonstance justifie pleinement le recours à des centres référents lointains, pour une hospitalisation moyenne de cinq jours.

Les solutions alternatives.

Les alternatives doivent également être discutées. Incontestable dans les cancers invasifs francs (1B), dans les stades 1A2 avec emboles lymphatiques, l’indication d’une chirurgie élargie est controversée dans les stades 1A2 sans emboles, où on pourrait remplacer l’opération élargie par une simple amputation du col associée à une lymphadénectomie endoscopique ; mais rien ne démontre l’innocuité d’une telle politique. On peut aussi proposer un traitement curiethérapique exclusif associé à une transposition préventive des ovaires ; mais la radiothérapie altère les capacités fonctionnelles de l’utérus. Enfin, plus récemment, il a été proposé une chimiothérapie néo-adjuvante suivie, en cas de réponse favorable, d’une simple conisation du col utérin ; la lourdeur de la chimiothérapie doit faire considérer comme excessive cette indication pour des tumeurs de moins de 2 centimètres. Pourtant, la chimiothérapie suivie de conisation a pu être utilisée pour des tumeurs dépassant 2 centimètres.

Autre situation extrême, celle d’une patiente porteuse d’un cancer avancé, bénéficiant d’une transposition ovarienne puis d’une radiochimiothérapie, et qui peut espérer une grossesse en recourant à une mère porteuse, légale dans certains pays. Ces dernières indications relèvent de l’exception et sont soumises au résultat du traitement local ainsi qu’au risque relativement élevé de métastases ovariennes des cancers du col avancés.

* Pr Denis Querleu, Institut Claudius- Regaud, Toulouse

QUERLEU Denis

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7970