Le Temps de la médecine : Souffrances de soignants
« JE RÊVE qu'un étudiant en psychiatrie s'empare du problème et fasse une étude documentée », lâche le Dr Yves Léopold. Ce médecin généraliste d'Avignon est l'auteur d'une première enquête étonnante sur le suicide des médecins français, que ses pairs du conseil de l'Ordre du Vaucluse lui avaient confiée.
L'enquête du Dr Léopold a démarré à partir du constat alarmant de 11 suicides sur 22 décès de médecins actifs (moins de 65 ans) recensés dans le département du Vaucluse sur une période de cinq ans. Le généraliste a donc interrogé l'ensemble des Ordres départementaux pour connaître l'incidence du suicide dans les décès des médecins de moins de 65 ans dans les cinq dernières années. « Seulement 26 départements ont répondu de manière satisfaisante », regrette le Dr Léopold. Il a dû écarter les statistiques non fiables ainsi que les grands départements où la méconnaissance des praticiens décédés rendait impossible une identification certaine de la cause de leur mort. Les départements ruraux étaient, de fait, surreprésentés car ils ont fourni davantage de « renseignements exploitables ». Cependant, le Dr Léopold estime que, s'il y a un biais, il n'est pas rédhibitoire, car le taux élevé de suicides du Vaucluse « parmi une population essentiellement urbaine » contredit, selon lui, l'hypothèse d'une surexposition des médecins de campagne au risque de suicide.
A partir des données parcellaires recueillies, le Dr Léopold a répertorié sur cinq ans 69 suicides sur 492 décès, au sein d'une population totale de 42 137 médecins actifs répartis sur 26 départements. « L'incidence du suicide sur ces données incomplètes mais sur un effectif important est donc de 14 % », conclut son étude en octobre 2003, tandis que le taux d'incidence du suicide était de 5,6 % des décès dans la population générale en 1999, pour la population d'âge comparable (de 35 à 65 ans). « Bien sûr, la comparaison souffre du fait qu'une partie de cette population n'est pas active, contrairement à la cohorte médicale », admet l'auteur de l'enquête. Il retient néanmoins que « l'étude faite, malgré ses imperfections, confirme bien qu'existe un problème authentique de suicide chez les médecins ». En revanche, « les chiffres recueillis sont trop imprécis pour pouvoir établir quelles sont les activités les plus exposées, quel est le sexe le plus menacé, quelles tranches d'âge sont atteintes », ou quels modes d'exercice sont les plus concernés.
Des marqueurs de risque.
Le Dr Léopold a pu simplement constater que les caractéristiques des 11 suicides du Vaucluse « concordent sur plusieurs plans » avec des études britanniques et américaines de 2001. Dans le département du Dr Léopold, « les médecins les plus touchés sont des femmes, le plus souvent psychiatres, généralistes, anesthésistes ou ophtalmologues ». Son étude invoque « la solitude de l'exercice professionnel, la difficulté bien connue des praticiens à passer du rôle de soignant à celui de soigné, les pressions administratives et le rythme excessif de l'activité ».
A défaut d'avoir réalisé une étude à caractère scientifique, le Dr Léopold a au moins incité l'Ordre du Vaucluse à créer une cellule préventive pour aider en amont les médecins susceptibles de descendre une mauvaise pente. L'Amicale des psychiatres du Vaucluse a listé « des marqueurs de risques » ou « clignotants », tels que : les problèmes financiers (dont retard de paiement de la cotisation ordinale et à la Carmf, la caisse de retraite des médecins libéraux), divorce, alcoolisme, problèmes ordinaux ou judiciaires, maladie mentale et handicap physique.
La cellule d'entraide ordinale intervient dès lors qu'un médecin cumule deux de ces clignotants. Après le suicide d'un médecin qui avait eu un contact positif avec cette cellule plusieurs mois auparavant, le Dr Léopold se demande s'il ne faut pas faire de la prévention « beaucoup plus en amont », au niveau de la formation et/ou par la « création d'un service de médecine du travail pour les médecins libéraux ».
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