LA PREVALENCE des tumeurs endocrines est estimée à 2 pour 100 000, selon le registre suédois, actuellement le plus complet, mais les données autopsiques l'établissent à 8 pour 100 000. Trois quarts de ces tumeurs pourraient donc rester strictement asymptomatiques. D'ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, les sécrétions hormonales sont rarement révélatrices (environ 5 % des cas) : les symptômes révélateurs sont le plus souvent non spécifiques (douleurs, masse à la palpation, infections chroniques récidivantes, etc.) ou la découverte est fortuite, à l'occasion d'une intervention chirurgicale par exemple ou d'un bilan radiologique.
Les tumeurs endocrines présentent trois niveaux de complexité, explique le Dr Baudin. Le premier est d'ordre nosologique, car la terminologie a changé à plusieurs reprises ; elles ont d'abord été appelées tumeurs carcinoïdes ou carcinome-like, car elles ressemblaient à un cancer, mais avec un pronostic plus souvent comparable à celui d'une tumeur bénigne ; ensuite, elles ont été regroupées sous le nom d'APUDomes (APUD = Amin Precursor Uptake Decarboxylase) en raison de leurs caractéristiques biochimiques de captation des précurseurs d'amines. Puis elles sont devenues tumeurs neuroendocrines, car elles possèdent des marqueurs communs avec les neurones, notamment la chromogranine A. Enfin, en 2000, l'OMS a encore modifié la terminologie pour les appeler tumeurs endocrines, ce qui, d'ailleurs, prête à confusion. Ces changements répétés ont introduit un flou préjudiciable dans l'esprit de nombreux praticiens. L'autre particularité de ces tumeurs, qui est aussi une source de complexité, est leur dispersion, puisque tous les organes peuvent développer une tumeur endocrine. Enfin, ces tumeurs posent des problèmes de caractérisation et leur potentiel évolutif est très variable.
La démarche diagnostique puis la caractérisation doivent donc être très rigoureuses, afin d'évaluer précisément le pronostic qui conditionnera le choix thérapeutique.
Le diagnostic repose dans la majorité des cas sur l'anatomopathologie qui met en évidence une tumeur d'organisation endocrinoïde, positive en immuno-histochimie pour la chromogranine A et la synaptophysine. Dans de rares cas, le diagnostic est biologique, fondé sur des tests de forte spécificité (insulinome, gastrinome, syndrome de Cushing...).
La première étape de caractérisation tumorale est la recherche d'éventuelles sécrétions hormonales, qui peuvent être une cause importante de morbidité, voire de mortalité. Leur dépistage repose sur un interrogatoire minutieux et un bilan biologique a minima. Les dosages de la calcémie, de la glycémie, de la chromogranine A, le marqueur le plus sensible des tumeurs endocrines, et des 5HIAA urinaires sont en règle suffisants. Le dosage des peptides pancréatiques est ajouté en cas de primitif pancréatique. D'autres marqueurs peuvent être recherchés lors du bilan d'un syndrome de prédisposition ou devant une présentation clinique ou biologique particulière (ex. syndrome de Cushing, dosage de la parathormone en cas d'hypercalcémie). En cas de sécrétion hormonale, un traitement spécifique est mis en route. A l'exception des gastrinomes, pour lesquels le traitement fait appel aux inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), il repose sur les analogues de la somatostatine, suivis, si possible, d'une résection chirurgicale. Quelques tumeurs sont résistantes à ce traitement, notamment les cancers médullaires de la thyroïde, les insulinomes et les phéochromocytomes.
Les syndromes de prédisposition.
La deuxième étape de la caractérisation d'une tumeur endocrine est la recherche d'un syndrome de prédisposition héréditaire. Celui-ci est évoqué si le patient est jeune, en cas d'antécédents tumoraux personnels ou familiaux évovateurs, lorsque la tumeur est multifocale, bilatérale ou lorsqu'elle s'associe à une hyperplasie cellulaire. Les tumeurs appartenant à un syndrome de prédisposition sont toujours bien différenciées et sont toujours neuro-ectodermiques (cancer médullaire de la thyroïde, phéochromocytome) ou endodermiques, dérivées de l'intestin antérieur (tumeurs endocrines pancréatiques, thymiques, bronchiques, duodénale, de l'estomac). Le diagnostic final est soit clinique (néoplasie endocrinienne multiple de type 1, neurofibromatose de type 1, sclérose tubéreuse de Bourneville), soit génétique (néoplasie endocrinienne multiple de type 1, 2, maladie de von Hippel-Lindau, paragangliomes familiaux). Il faut en effet souligner l'importance d'un tel diagnostic conduisant à un dépistage précoce prémorbide chez le patient des pathologies associées et à un bilan familial centré sur les apparentés à haut risque d'atteinte. La mise en évidence d'un syndrome de prédisposition, c'est-à-dire dans environ 1 à 30 % des cas, a également des conséquences pronostiques et thérapeutiques essentielles.
La troisième étape est la caractérisation histopronostique de la tumeur. Les index de prolifération prennent actuellement une place majeure dans la classification histopronostique des tumeurs endocrines. Ils permettent de définir des tumeurs bien ou peu différenciées et, au sein de ces deux groupes, des sous-groupes de patients dont le pronostic est très différent. Pour les tumeurs du poumon, par exemple, on distingue trois sous-groupes : les carcinoïdes typiques avec moins de deux mitoses par 10 grands champs, dont la survie est de 80 à 90 % à dix ans, les carcinoïdes atypiques ayant entre 2 et 10 mitoses pour lesquels la survie à dix ans n'est plus que de 35 % et les carcinomes peu différenciés avec plus de 10 mitoses pour lesquels la survie chute entre 0 et 10 % à trois-cinq ans. Ce diagnostic histologique est relativement facile en cas de tumeur bien différenciée, il est beaucoup plus délicat dans les formes peu différenciées dans lesquelles il faudra éliminer un sarcome, un lymphome ou un carcinome peu différencié. L'expertise de l'histologiste est essentielle pour obtenir une caractérisation aussi fine que possible.
L'imagerie des tumeurs endocrines.
La quatrième étape diagnostique est la définition du stade de la maladie. Le bilan d'extension associe l'imagerie conventionnelle et des examens fonctionnels. Il s'agit essentiellement de la scintigraphie des récepteurs de la somatostatine qui permet de visualiser in vivo les récepteurs de la somatostatine. Sa sensibilité est comprise entre 30 et 80 % en fonction de la taille de la tumeur, de ses caractéristiques histologiques et de l'organe étudié ; elle permet de retrouver entre 5 et 30 % des cancers primitifs et de 10 à 30 % de métastases non visualisées par l'imagerie conventionnelle. Cette dernière fait appel au scanner et à l'IRM en respectant les temps artériels précoces. Ce bilan morphologique sera adapté au mode d'extension de chaque tumeur primitive, souligne le Dr Baudin. L'imagerie initiale des tumeurs digestives est centrée sur l'abdomen ; en revanche, en cas de tumeur pulmonaire, le bilan d'extension initiale prendra en compte la peau, les os et le cerveau.
La prise en charge thérapeutique repose d'abord sur les analogues de la somatostatine afin de contrôler les sécrétions hormonales avant tout traitement ou exploration invasifs. En cas de tumeur peu différenciée (de 5 à 10 % des cas), la chimiothérapie systémique assure 40 % de réponses objectives, dont 10 à 20 % de réponses complètes. Au total, seuls de 5 à 10 % de ces patients présentent une rémission durable.
En cas de tumeur bien différenciée localisée, le traitement chirurgical reste la seule façon de guérir définitivement ces patients. Cette guérison est fréquemment obtenue en cas de tumeurs endocrines bronchiques, appendiculaires, rectales, de l'estomac et des insulinomes. Lorsque la tumeur est métastasée, ce qui est le cas le plus fréquemment rencontré en cas de tumeurs iléales et pancréatiques, le choix thérapeutique est plus difficile. En effet, seules les tumeurs primitives pancréatiques sont chimiosensibles. Dans les autres cas, il faut prendre en compte le volume tumoral, l'importance des sécrétions hormonales et la morbidité propre de chaque localisation tumorale et, enfin, la pente évolutive spontanée. En effet, une pente évolutive nulle ou très faible, est associée à des survies à cinq ans proche de 100 % permettant de discuter chez ces patients une simple surveillance ou une chirurgie de réduction. En revanche, face à une maladie évolutive, plusieurs options thérapeutiques seront discutées comme l'hormonothérapie (analogues de la somatostatine), l'interféron, la chimiothérapie systémique, associés ou non à des traitements locorégionaux comme la radiofréquence hépatique ou la chimioembolisation hépatique.
D'après un entretien avec le Dr Eric Baudin
* Service d'endocrinologie cancérologique, institut Gustave-Roussy, Villejuif.
Les principaux syndromes de prédisposition
- Les néoplasies endocriniennes multiples de types 1 et 2.
- La maladie de Von Hippel-Lindau.
- La neurofibromatose de type 1.
- La sclérose tubéreuse de Bourneville.
- Les paragangliomes familiaux.
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