Alcoolisme chronique et paracétamol

Une source de « mésaventure »

Publié le 09/03/2008
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Une étude prospective menée à Lille confirme que l'alcool induit des « mésaventures » thérapeutiques au paracétamol et aggrave l'évolution en cas de surdosage. Explications avec le Pr Philippe Mathurin.

LA METABOLISATION de l'alcool emprunte plusieurs voies métaboliques. En cas d'alcoolisation importante, la voie prépondérante du système de l'alcool déshydrogénase est saturée, la métabolisation s'effectue à l'aide des cytochromes. Le cytochrome le plus impliqué dans cette voie accessoire est le cytochrome P450 2E1.

La toxicité du paracétamol est dose-dépendante, elle n'est pas liée au produit lui-même, mais à ses métabolites. Ces métabolites sont produits par le Cyt P450 2E1, et c'est leur excès qui va entraîner une production de corps réactifs de l'oxygène conduisant à une peroxydation lipidique et à la nécrose cellulaire.

Une fragilité cellulaire exacerbée.

Les mécanismes de protection cellulaire envers les corps réactifs font intervenir le glutathion. En conséquence, la N-acétylcystéine, précurseur du glutathion, doit être administrée chez les patients admis pour une intoxication au paracétamol afin de prévenir le développement de l'atteinte hépatique et en cas d'atteinte hépatite afin de diminuer la probabilité d'évolution vers une forme fulminante. Certains buveurs excessifs présenteraient une teneur hépatique en Cyt P450 2E1 de dix à quinze fois supérieure à celle de sujets abstinents et, dans le même temps, une déplétion en glutathion. «Autrement dit, explique le Pr Mathurin, si l'on prend l'hypothèse que leur production de Cyt P450 est multipliée par 10, la production de réactifs à l'oxygène va être très importante pour une quantité de paracétamol faible avec une fragilité cellulaire exacerbée en raison d'une déplétion en glutathion.» Il faut préciser que, chez le buveur chronique, ce mécanisme nécessite probablement d'autres facteurs environnementaux comme le jeûne, autre situation responsable d'une déplétion en glutathion.

Une étude prospective.

Cette « mésaventure » du paracétamol a été rapportée dans de nombreux cas cliniques, mais jamais démontrée dans le cadre d'études prospectives. Le travail, mené au CHU de Lille, a consisté en l'analyse des cas d'hépatites au paracétamol afin de déterminer si une atteinte hépatique pouvait être observée à des doses thérapeutiques de paracétamol ou à des doses considérées comme non toxiques (le seuil de toxicité étant de 6 g).

Les patients (93) ont été divisés en trois groupes : 27 dans le groupe « mésaventure » au paracétamol, c'est-à-dire 27 patients qui utilisaient le paracétamol à des doses thérapeutiques ; 48 patients qui présentaient un surdosage au paracétamol, surdosage volontaire ou non ; les patients porteurs d'hépatite relevant d'autres causes n'étaient pas inclus dans l'étude.

«Le premier résultat important, note le Pr Philippe Mathurin, est la confirmation de la mésaventure au paracétamol. Des patients ont en effet développé des hépatites en l'absence de surdosage au paracétamol. Ces hépatites ont été observées chez des patients prenant les doses recommandées qui étaient pour la plupart des buveurs excessifs. Un seul cas a été observé en l'absence de consommation chronique d'alcool chez une anorexique après 7 jours de jeûne.»

La dose médiane de paracétamol dans les mésaventures était beaucoup moins importante que dans les hépatites par surdosage (4 g versus 20 g). La consommation quotidienne d'alcool était bien plus élevée dans le groupe hépatite « mésaventure » que dans le groupe hépatite par surdosage (80 g versus 0). Enfin, la durée de prise de paracétamol était plus longue dans le premier groupe. «Nous n'avons pas constaté de mésaventure au paracétamol chez des individus n'ayant pris du paracétamol que pendant un jour», souligne le Pr Mathurin.

Une association à éviter.

En termes de gravité, l'hépatite était aussi grave dans les deux groupes. Mais, dans les hépatites du premier groupe, sous traitement par N-acétylcystéine, les transaminases présentaient une décroissance très rapide, élément confirmant l'implication du paracétamol, le taux moyen variant de 3 200 UI à 450 UI en 5 jours. «L'évolution, déclare le Pr. Mathurin, confirme donc que la mésaventure au paracétamol existe bien et qu'elle serait aussi sévère que l'hépatite liée à un surdosage.»

Afin de confirmer la relation délétère entre consommation chronique d'alcool et paracétamol, les auteurs de l'étude ont comparé l'atteinte hépatique des patients avec surdosage en fonction de leur profil d'alcoolisation. Les hépatites par surdosage de paracétamol étaient plus graves, comme en témoigne la diminution de la survie observée chez les patients ayant une consommation chronique d'alcool. «A l'inverse, souligne Ph. Mathurin, ce que nous n'avons pas observé, mais qui a été révélé par une autre étude, c'est que l'alcool et le paracétamol, ingérés de façon concomitante en vue d'un suicide, entreraient en compétition au niveau du cytochrome, diminuant la toxicité du paracétamol.»

«Cette étude, conclut-il, doit être portée à la connaissance des utilisateurs du paracétamol et des cliniciens, car elle confirme la possibilité de développer une hépatite sévère au paracétamol au bout de 4-5jours d'utilisation à des doses thérapeutiques. Par ailleurs, la consommation chronique d'alcool a un effet délétère en cas de surdosage en paracétamol.»

D'après un entretien avec le Pr Philippe Mathurin, CHRU de Lille.

>Dr BRIGITTE MARTIN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8328