Le fait du jour
La Corse, où Nicolas Sarkozy espère progresser en privilégiant l'approche économique, pourrait être comparée à un microcosme de la société française en général.
Les actes de violence y sont le fait d'une minorité ; le mécontentement y est diffus : au fond, les nationalistes sont incapables d'expliquer comment la Corse, livrée à elle-même, améliorerait le sort des Corses ; la majorité, hostile aux actes terroristes, a quand même dit non au référendum de juillet.
Le ministre de l'Intérieur a décidé de s'attaquer aux circuits financiers et à l'argent sale qui nourrit, selon lui, les activités terroristes. En même temps, il souhaite adopter une série de mesures propres à favoriser le développement de l'île et à créer des emplois.
Le radar saccagé
En métropole, l'absence de terrorisme proprement dit n'empêche pas la violence de s'exprimer dans à peu près toutes les situations de crise et dans à peu près tous les conflits sociaux : récemment, un centre social a été saccagé, sous le regard médusé d'enfants qui y passaient leurs vacances, par des voyous dont la vague motivation était seulement explicitée par la répétition du mot « Islam ». Les intermittents du spectacle, qui ont réussi à transformer leurs emplois précaires en chômage permanent, ne désarment pas et continuent à perturber spectacles et émissions de télévision.
Ailleurs, un des nouveaux radars capables de photographier l'excès de vitesse, puis d'adresser la contravention au conducteur, a été saccagé. Le représentant des pouvoirs publics a rappelé, de façon quelque peu pathétique, qu'il s'agissait d'un délit pour lequel la prison ferme peut être requise.
Dans un autre domaine, le gouvernement prend des mesures draconiennes pour limiter la consommation de tabac : les cambriolages de débits de tabac se multiplient et la contrebande prospère.
On perçoit, dans de multiples groupes, assez nombreux au demeurant pour former une partie importante de la population générale, un refus du droit, de la loi et de l'ordre. Quel agriculteur, quel routier, quel altermondialiste, quel cheminot n'a pas participé à une grève assortie de blocages, quel raveur n'a pas illégalement piétiné un champ (ou pris une pilule d'ecstasy), quel conducteur ne méprise pas les limitations de vitesse ? Combien de personnes se livrent au vol à l'étalage, entraînant une recrudescence de la sécurité dans les magasins, avec ses propres dérives : le soupçon qui pèse sur l'innocent, le contrôle électronique qui sonne par erreur, le client ahuri sur lequel se jette le vigile ?
Cynisme contre civisme
Nous vivons dans une société où le cynisme est tellement répandu que le civisme, mécaniquement, recule, quand il n'a pas tout à fait disparu ; et l'essentiel n'est plus d'être honnête mais de ne pas se faire prendre. On multiplie donc les interdits et les moyens de surveillance, de sorte que toute sortie en ville expose le plus anonyme des citoyens à être filmé contre son gré, observé avec méfiance, parfois maltraité sans raison. C'est le nouveau clivage de la société : aux différences sociales s'ajoutent les différences morales ; le pauvre choisit le système D, parce qu'il s'estime victime d'une injustice, le moins pauvre ou le riche s'opposent aux pratiques du pauvre parce qu'elles entraînent un sérieux désordre.
Ce n'est pas d'hier que les Français aiment se plaindre. Et, bien entendu, ces salariés qu'on jette à la rue pour cause de délocalisation ou de fusion, dont on ne respecte pas les droits sociaux, alors que les salaires et avantages des patrons ne cessent d'augmenter (une autre forme d'escroquerie), ont de bonnes raisons de se révolter.
Mais comme on le voit avec les intermittents, comme on l'a vu avec des grèves des transports publics que rien ne justifiait sinon la « solidarité avec les autres travailleurs », ceux-là même dont on a prolongé les carrières et qui, à plusieurs reprises, ont dû aussi se rendre à pied à leur travail, on assiste à des manifestations de plus en plus nombreuses d'hostilité aux pouvoirs publics, plus exactement au pouvoir, quel qu'il soit, et à une sorte de retour aux sources soixante-huitardes, mais étalé dans le temps.
Il fait mauvais
Un peu comme s'il faisait mauvais temps, un peu comme si on se levait du pied gauche tous les matins, un peu comme si le seul remède à cette sorte de dépression collective, c'était la violence, le désordre, la casse. Le gouvernement, celui d'aujourd'hui, comme le précédent, en est réduit à reculer chaque fois qu'une de ses mesures déclenche une crise. La Pentecôte, jour férié supprimé ? Laisse tomber, Jean-Pierre : ils n'en veulent pas. Qui n'en veut pas ? L'industrie touristique, la gauche, la feria de Nîmes, les innombrables adorateurs du pont, ce week-end de trois jours transformé en idole, à laquelle on sacrifierait beaucoup de principes.
La question n'est plus de savoir si une mesure gouvernementale est bonne ou non, et après tout, celle-là est peut-être mauvaise. La question est la suivante : un gouvernement disposant d'une majorité parlementaire peut-il appliquer un programme ? Non. Car il y a deux démocraties parallèles : celle des urnes et celle de la rue. Et la rue, souvent, est plus forte que les urnes. Mais aussi elle est moins contrôlable. L'exaspération monte plus vite au sein du groupe où le cri, le slogan, et bientôt la haine correspondent à un phénomène d'émulation. Métiers, corporations, groupes divers qui se forment autour des OGM, d'une maternité, profs, infirmières, lycéens, intermittents, buralistes, on en passe, ce sont autant de mini-France qui se fâchent, manifestent, cassent parfois et en tout cas paralysent le pays.
Sommes-nous déjà, et même depuis longtemps, dans un Etat de non-droit où la loi, même quand elle est répressive, n'a aucun effet de dissuasion ?
Nicolas Sarkozy, nous dit-on, a été très efficace dans sa lutte contre l'insécurité. Il a obtenu des résultats. Mais on nous explique par ailleurs que les prisons débordent, qu'il y règne des conditions de vie indignes et que la population carcérale ne cesse d'augmenter. Donc, il faut construire des geôles, pour y placer le nombre croissant de délinquants. Cela montre que la peur du gendarme tend à disparaître et que, au fond, beaucoup de nos concitoyens ne pensent pas qu'un séjour en prison briserait leur vie, ni même porterait atteinte à leur honneur. Ce serait plutôt l'inverse.
De ce point de vue, nous sommes tous des Corses. Pis : il y a en France une intifada rampante qui ne dit pas son nom. L'occupant, c'est le gouvernement. L'occupé, c'est le citoyen. L'idée n'est pas de renverser le pouvoir en place, mais de faire en sorte que la liberté soit appliquée jusqu'au bout, même quand elle réduit la liberté des autres.
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