C’EST UNE AFFAIRE à la fois effroyable et symbolique : on retrouve tous les éléments délétères d’une société qui a perdu ses repères dans ce drame. Une jeune fille, une adolescente, qui croit vivre dans une société ouverte et libre ; un jeune homme miné par des pulsions violentes et contradictoires, peut-être quelque chose qui ressemble à l’amour ou au désir, et aussi à la rage de n’avoir pu séduire, au projet de châtiment qui peut suivre une déception.
D’ordinaire, la plupart de ces sentiments sont calmés par une gifle ou la menace d’un pair plus fort. Là, Djamel est allé au bout de son parcours : il a tué, de la manière la plus cruelle, une gentille fille qui ne lui demandait rien.
Il y a près de quatre ans, le scandale avait dressé la France contre l’auteur du crime. L’organisation Ni putes ni soumises, souvent admirable dans sa lutte contre le sexisme ordinaire, a fait une campagne énorme autour du meurtre en exigeant non seulement une justice exemplaire mais, en quelque sorte, que les jeunes Beurs déchirés par leurs émotions conflictuelles se livrent à une profonde introspection et soignent leur mal : les passions destructrices qu’ils abritent.
Un rejet peut-être irréversible.
Depuis qu’a eu lieu cette tragédie, on n’a pas le sentiment que la société française ait évolué vers le mieux. Non seulement beaucoup de jeunes issus de l’immigration et livrés au chômage demeurent violents et hostiles aux femmes qui seraient nécessairement des prostituées si elles n’adoptent pas leurs propres règles, mais on voit la violence gagner tous les secteurs et parfois tous les quartiers. Certes, il y a un soubassement social à ces comportements alarmants et un reflux du chômage contribuerait à en limiter les manifestations. Mais le rejet des institutions et des règles censées régir notre société est peut-être irréversible.
Nous ne voyons aucune différence entre le meurtre de Sohane et l’assassinat d’Ilan Halimi. Ils procèdent de la même barbarie, qui atteint la plénitude quand elle s’exprime au moyen de la force pure : je suis plus fort que toi, donc je peux te faire ce que je veux. Et ils procèdent de l’intolérance : sexisme dans un cas, antisémitisme dans l’autre. Si nous tentions d’expliquer à ces brutes que l’usage de leurs muscles constitue en réalité une preuve de leur lâcheté, nous en serions pour notre peine. Et on est bien obligé alors d’envisager des moyens de prévention et de répression.
Il est indispensable que le public ne confonde pas les racines sociales du mal et les formes barbares de son expression. Nous ne manquons pas de belles âmes selon lesquelles la première violence, c’est celle d’une société qui inflige chômage, pauvreté et exclusion à ces malheureux. Mais rien ne justifie le crime. Et il faut prendre garde à ne pas politiser ce qui relève de la délinquance ou de la criminalité.
LA BARBARIE EST L'EXPRESSION DE LA PLUS GRANDE LACHETE ET L'USAGE DE LA FORCE, CELLE DE LA FAIBLESSE
Une brutalité invraisemblable.
Car nous avons assisté ces derniers temps à des actes d’une brutalité invraisemblable. Un photographe tué à coups de poing par des voyous à qui il n’avait rien fait. Une enseignante poignardée par un élève et qui a survécu par miracle, mais est couverte de profondes cicatrices. Une femme handicapée aspergée d’essence dans un bus. Un autre cas de femme transformée en torche. Sur l’île de Saint-Martin, dans les Antilles, un gendarme dont l’agonie, à la suite d’un accident, est accueillie par les insultes et le décès par des applaudissements. Et, bien sûr, la longue et insupportable torture subie par Ilan Halimi.
A quoi on peut ajouter les casseurs à la fin des manifestations et les manifestants eux-mêmes, qui se lancent contre les autoroutes et les voies ferrées au mépris de leur propre sécurité. Y a-t-il le moindre bon sens dans ce genre de comportement ? Même la revendication sociale ou politique baigne maintenant dans l’excès, dans l’absence de logique, dans un irrationnel parfois délirant. Comme si l’ivresse de la protestation devenait une fin en soi et non plus un moyen d’obtenir satisfaction.
Ce paroxysme de colère et de violence est disproportionné par rapport au préjudice ressenti : le CPE ne valait pas qu’on démolisse la Sorbonne (et pas davantage qu’on saccage les vitrines des Invalides ou du quartier Latin). Bon, nous rappelle-t-on, les manifestants ne peuvent rien contre les casseurs et en sont même les victimes. Et si la manifestation est reconnue en tant que droit inaliénable par la Constitution, on ne peut pas l’interdire sous le prétexte qu’une manifestation risque de mal tourner.
On ne peut pas. Mais on en paie le prix, qui est chaque jour plus élevé. Et on continue dans ce pays à régler le problème posé par une croissance insuffisante en faisant à peu près tout pour la ralentir encore. Sans doute ne sommes-nous pas excellemment gouvernés. Mais, enfin, on n’obtiendra rien en se contentant de protester tous les jours.
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