AVEC 1 900 BÉNÉVOLES actifs au quotidien et 81 salariés engagés dans 115 programmes de promotion de la santé, présente dans 28 villes à travers l'Hexagone, la mission France de Médecins du Monde est aux avant-postes de l'exclusion. L'ensemble de ses activités (centres d'accueil de soins et d'orientation, programmes mobiles de proximité pour l'accès aux soins en général ou plus spécialisés dans la réduction des risques liés aux usages des drogues) se maintiennent à un niveau élevé. Le baromètre reste stationnaire dans les basses pressions sociales. Et les salles d'attente de la médecine des exclus regorgent de consultants : 20 641 patients en 2004, contre 19 863 l'année précédente.
Il y a eu 40 625 consultations, dont 4 974 en chirurgie dentaire. La majorité ont accueilli des hommes (56,5 %, contre 43,5 % de femmes). Les deux tiers d'entre eux sont âgés de moins de 40 ans, avec un quart de moins de 25 ans et 10 % de mineurs. Quatre-vingt neuf pour cent de ces patients sont des étrangers, maghrébins pour plus du tiers, l'Algérie fournissant les plus gros effectifs, devant le Maroc et la Roumanie. Les trois quarts des personnes en âge de travailler sont sans emploi, 17 % ont recours à un travail non déclaré ; 18 % vivent à la rue et 39 % déclarent habiter dans un logement très précaire (hébergement chez des amis ou de la famille, squat aménagé, caravane, centre d'hébergement et de réinsertion sociale).
En tête, les troubles psychiatriques.
Le lien social de ces consultants est distendu, avec 41 % de personnes qui vivent seules, surtout quand il s'agit d'hommes (54 %). Neuf consultations sur dix ressortent de la médecine générale. Les motifs sont le plus souvent multiples et, si les troubles observés ne sont pas liés directement aux conditions de vie, ils sont fréquemment aggravés par la précarité et/ou les retards d'accès aux soins. Ce sont les troubles psychiatriques qui viennent en tête (15,7 % des consultations, contre 9,1 % dans la population générale), devant les pathologies dermatologiques (14,5 % vs 10,1 % chez les autres patients) et les troubles ORL (12,5 % vs 10,8 %).
La fréquence des consultations liées à des problèmes traumatologiques chez les personnes sans logement est deux fois plus élevée que chez les autres (4,7 % contre 2,5 %).
De fait, les phénomènes de violence, quelle que soit leur nature, sont massifs : plus de 500 consultants s'en sont plaints (134 hommes et 86 femmes viennent après une agression physique, 84 hommes et 28 femmes se disent victimes de tortures).
Les dépendances aux substances psychoactives concernent deux à quatre fois plus les hommes que les femmes. C'est le tabac qui arrive en tête des addictions (23 %), suivi de l'alcool (11 %).
Les statuts sérologiques sont rarement connus des patients : seulement 14 % d'entre eux le connaissent vis-à-vis de l'hépatite B et C et 17 % pour le VIH. C'est le signe, constate Médecins du Monde, que, contrairement à certaines idées reçues, les étrangers ne viennent pas en France pour s'y faire soigner, puisqu'ils ne découvrent leur statut qu'à la suite des prescriptions de dépistages effectués dans l'Hexagone.
Pour la grande majorité des personnes précaires prises en charge par la mission France, l'accès aux soins est entravé par les difficultés administratives et financières. Pourtant, l'analyse de leurs droits révèle que 81 % d'entre eux devraient bénéficier d'une couverture maladie, soit au titre de la CMU, soit à celui de l'AME. Or 80 % de ces patients ne disposent pas dans la pratique de droits ouverts lorsqu'ils se présentent à Médecins du Monde. Ce décalage est particulièrement frappant pour les bénéficiaires potentiels de l'AME, qui sont plus de 92 % à ne pas faire valoir leurs droits. MDM observe que les intéressés ignorent souvent leurs droits, tout comme les lieux où ils pourraient se faire soigner. Le manque d'information est donc crucial, qui s'ajoute aux difficultés financières et aux difficultés administratives diverses.
Principal obstacle rencontré, l'obligation de domiciliation touche 68 % des patients qui devraient relever du régime de l'AME ou de celui de la CMU. Les centres communaux d'action sociale (Ccas), note MDM, restent peu nombreux à fournir cette domiciliation, les associations assurant alors cette prise en charge indispensable pour déposer toute demande de couverture maladie.
Le pire reste à venir.
Mais le pire serait devant nous. Selon les associations de solidarité*, deux réformes menacent d'aggraver la situation sanitaire des personnes précaires dans les prochains mois. La réforme de l'assurance-maladie, en instaurant le parcours de soins orchestré par le médecin traitant, n'a pas en effet prévu les cas des SDF, des routards, des gens du voyage et des autres expulsés continuels qui doivent chercher et trouver en permanence un médecin traitant et envoyer un nouveau formulaire à chacun de leurs déplacements.
Pas prévue non plus par la réforme, la situation des personnes souffrant de pathologies mentales, qui vivent dans une grande désorganisation et ne sont pas en mesure de s'intégrer à l'intérieur du cadre du médecin traitant. D'autres vides réglementaires concernent les urgences hospitalières, les Pass (permanences d'accès aux soins de santé) et, en général, le plateau technique hospitalier ; peuvent-ils être considérés comme des « médecins traitants » ? Comment, d'autre part, supprimer les freins aux recours aux soins dans le cas des usagers de drogues précarisés, leur accès aux traitements de substitution nécessitant qu'ils trouvent aussi un médecin traitant.
Autant de questions qui ont été posées au ministre de la Santé et au directeur de l'Uncam, dans une lettre du 6 juin dernier, et qui restent à ce jour sans réponse.
Les mesures qui restreignent l'accès à l'aide médicale d'Etat aggravent encore le tableau. Aux termes des deux décrets publiés le 28 juillet dernier, les demandeurs devront produire des pièces administratives qui leur font le plus souvent défaut. Une réforme adoptée en catimini au cœur de l'été, dont plusieurs associations** viennent de demander l'annulation devant le Conseil d'Etat. Ces décrets contreviendraient tout à la fois à la loi de finances rectificative de 2003 (protection de personnes contre les souffrances inutiles et dégradantes sur le plan de la santé) et à la charte sociale européenne (droit des enfants et des adolescents aux soins et à l'assistance). De surcroît, ils porteraient « atteinte aux exigences de précaution relatives à la santé publique en retardante la prise en charge des personnes » (« le Quotidien» du 27 septembre).
* Comede, Emmaüs France, Fédération de l'Entraide protestante, Médecins du Monde, Secours catholique, Uniopss...
** Aides, la Ligue des droits de l'homme, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap) et MDM.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature