UNE PAIRE de lunettes noires dotée d'une caméra vidéo et d'un émetteur radio, un microrécepteur implanté sous l'oeil et connecté par un câble ténu à un réseau d'électrodes insérées sur la rétine, le tout contrôlé par un microprocesseur et alimenté par une batterie attachés à la ceinture. Ce n'est pas le dernier gadget de James Bond, mais une nouvelle rétine artificielle qui va être testée chez l'homme, dans les mois à venir, aux Etats-Unis, avec l'accord de la Food and Drug Administration (FDA) américaine.
Appelée Argus II et fabriquée par la société californienne Second Sight, son but est de restaurer une vision partielle chez les personnes atteintes de cécité due à la rétinopathie pigmentaire ou la dégénérescence maculaire liée à l'âge (Dmla). Ces pathologies qui affectent la rétine sont dues à une perte progressive des photorécepteurs, les cellules à bâtonnets et à cônes, dont le rôle est de capter le signal lumineux.
Le dispositif conçu et développé par le Pr Mark Humayun, de l'université de Southern California (USC) et de l'institut Doheny, a pour objet de stimuler les cellules non photoréceptrices de la rétine, qui sont toujours intactes et capables de transmettre un signal au cerveau par l'intermédiaire du nerf optique. Dans ce système prothétique, le signal lumineux extérieur est converti en un signal électronique, puis en un signal électrique qui est acheminé jusqu'à la rétine. Le processus est le suivant : la caméra attachée aux lunettes enregistre l'image. Elle est transformée par le vidéoprocesseur en un message électronique qui est transmis à l'émetteur inclus dans les lunettes. De là, le message est envoyé par radiofréquence au récepteur implanté sous l'oeil. Le récepteur active alors les électrodes qui, en réponse, émettent, chacune individuellement, une série d'impulsions électriques au niveau de la rétine. Ces impulsions sont traduites, grâce notamment aux cellules ganglionnaires, en un message lumineux relayé au cerveau par le nerf optique.
Ce processus permet au patient de percevoir un ensemble de taches claires ou noires reflétant la façon dont les électrodes ont été stimulées. Le patient doit ensuite apprendre à interpréter la signification de ces images.
Lumière, formes et mouvement.
Une première version de l'implant épirétinien, comprenant 16 électrodes, a été testée par l'équipe de l'institut Doheny, depuis 2002, sur 6 patients aveugles, et leur a donné une capacité limitée de voir la lumière, de percevoir le mouvement et d'identifier des formes et des objets. Ce fut une surprise car le but essentiel de l'essai clinique, à l'époque, était de s'assurer de l'innocuité de la procédure. «Personne ne pensait que 16électrodes permettraient de voir quoi que ce soit», indique le Pr Gerry Chader, de l'institut Doheny, à Los Angeles. Les 6 patients ont tous retrouvé la capacité de percevoir la lumière. Ils peuvent, par exemple, reconnaître l'emplacement clair d'une porte ou d'une fenêtre ouverte. Certains ont appris à distinguer les uns des autres des objets liés au repas – assiette, tasse, soucoupe et couteau – ou à lire des lettres de grande dimension : de 30 cm de haut environ.
T., un des patients, âgé d'une cinquantaine d'années, qui était aveugle depuis onze ans lorsqu'il a été équipé de la prothèse, indique s'en servir à l'extérieur : « Cela m'aide lorsque je me déplace dans des conditions lumineuses, dit-il. Je peux percevoir des mouvements et des ombres, le rebord du trottoir, s'il y a un obstacle sur mon chemin.»
Mais le champ visuel recréé par ce procédé est très étroit. L'usager doit, en conséquence, «décrire un mouvement avec la tête» pour voir, par exemple, l'ensemble d'une porte dans un environnement non familier, explique Gerry Chader. C'est aussi ce que doit faire T. lorsqu'il veut observer le contour des objets qui se trouvent dans son allée.
En dépit de ces limites, Gerry Chader souligne que la perception de la lumière constitue un «gain énorme» qui permet aux patients de rétablir un lien perdu avec leur environnement.
Une opération de deux heures.
La nouvelle prothèse comprend plusieurs améliorations par rapport à celle de 2002. Le microrécepteur qui sera implanté est quatre fois plus petit que celui du premier modèle, ce qui permet de l'introduire sous l'oeil (plutôt que derrière l'oreille comme dans le premier cas) et de raccourcir la longueur du câble qui le relie au réseau d'électrodes posées sur la rétine. «Cela devrait permettre de réduire la durée de l'intervention chirurgicale de 7heures à 2heures», indique Brian Mech, de Second Sight.
Le nombre d'électrodes a été augmenté à 60 dans le but d'améliorer la résolution des images perçues par le patient. Le substrat dans lequel les électrodes sont enrobées a changé : le caoutchouc de silicone original a été remplacé par un polymère plus flexible pour une meilleure protection de l'oeil.
Les essais cliniques de cette rétine artificielle de deuxième génération vont commencer avec une douzaine de patients aux Etats-Unis et devraient se prolonger en Europe dans le cadre de collaborations avec des institutions intéressées.
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