U NE croissance qui ralentit, une litanie de plans sociaux, une majorité plurielle de plus en plus singulière tant certaines de ses composantes ne voient leur avenir que dans la surenchère, des Français qui s'inquiètent pour leur sécurité et leur emploi et qui semblent progressivement glisser dans la morosité et le tracassin et - last but not least - une cote de popularité qui s'effrite : la potion que doit ingurgiter Lionel Jospin en cette rentrée ressemble singulièrement à une soupe à la grimace.
En temps normal, cela aurait de quoi rendre chagrin. A quelque mois d'élections décisives, cela vire au cauchemar.
La politique de santé et de protection sociale ne réserve pas au gouvernement de meilleures surprises. Le dossier le plus urgent et le plus explosif reste celui de l'application des 35 heures dans les hôpitaux. Entre les exigences de Laurent Fabius, qui ne rate jamais une occasion de s'alarmer de la dérive des dépenses maladie, et la volonté d'Elisabeth Guigou de donner aux hôpitaux les moyens de fonctionner et d'éviter un conflit majeur dans des établissements toujours au bord de la crise sociale, Lionel Jospin a choisi : il a plutôt donné l'avantage à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Il y aura donc plutôt quarante mille créations d'emplois dans les hôpitaux que 10 000, comme le souhaitait le ministre de l'Economie et des Finances.
Cela suffira-t-il à apaiser les tensions dans le monde hospitalier ? Peut-être pas. Les syndicats de personnels avaient en effet placé la barre encore plus haut (de 70 000 à 80 000 créations d'emplois) et le fait que ces mesures seront étalées sur plusieurs années, comme l'a indiqué Bernard Kouchner, provoqueront sans aucun doute l'irritation des organisations hospitalières. Le choix fait par le Premier ministre s'explique par des raisons sociales et électorales. Mais il contribuera à grever les finances publiques et de la Sécurité sociale alors que le ralentissement de la croissance aura des conséquences, en 2002, sur l'équilibre des comptes sociaux. Une situation difficile à gérer au moment où Lionel Jospin réaffirme son souci « de ne pas laisser filer les déficits » et de poursuivre sa politique de baisse d'impôts.
Le casse-tête de la médecine de ville
Elisabeth Guigou va devoir, parallèlement, traiter le problème récurrent des relations avec les médecins libéraux, hostiles, dans leur immense majorité, au système actuel de baisse des tarifs médicaux en cas de dérapage des dépenses. La plupart des syndicats ont été très déçus par la réunion, en juillet, du second « Grenelle de la santé » et par les propositions de la mission de concertation sur l'avenir de la médecine de ville. On voit mal quel système la ministre pourrait imaginer qui permette de maîtriser les dépenses et de se ménager les bonnes grâces du corps médical. L'hypothèse d'un système de convention médicale à deux niveaux sur laquelle semble travailler le gouvernement (avec un niveau de base pour tous et un système de contrats individuels assortis de bonus financiers pour les médecins qui prennent des engagements permettant d'améliorer la qualité des soins et de maîtriser les dépenses) est loin de faire l'unanimité. Il est critiqué par des syndicats médicaux et par des centrales de salariés. Pourtant, la ministre devra trancher rapidement. La commission des comptes de la Sécurité sociale devrait se réunir le 20 septembre et les grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002 devront être arrêtées à cette date.
La reconquête de l'électorat médical
L'exercice est d'autant plus délicat qu'à quelques mois de scrutins décisifs Elisabeth Guigou se dispenserait bien d'un conflit ouvert avec les médecins libéraux. Des praticiens qui ont la réputation d'être des agents électoraux et en direction desquels la droite multiplie les propos rassérénants. Alain Juppé va d'acte de contrition en acte de contrition. Jacques Chirac ne rate pas une occasion de se poser en défenseur de la médecine libérale. Alain Bayrou montre son intérêt pour le monde de la santé en se livrant à des « immersions », selon son expression, dans le monde médical, pour se mettre à l'écoute de la profession. Ces gesticulations préélectorales ne semblent pas pour l'instant séduire outre mesure une profession qui s'est sentie trahie par la droite et mal aimée par la gauche.
Modernisation du système de soins
Au-delà de dossiers particulièrement lourds - 35 heures dans les hôpitaux, maîtrise des dépenses maladie, redéfinition des relations entre l'Etat et les caisses de Sécurité sociale -, l'équipe de Lionel Jospin doit gérer d'autres réformes. Et notamment le projet de loi de modernisation du système de santé qui devrait être examiné dans les prochains jours en conseil des ministres. Un projet qui prévoit de renforcer les droits des malades - notamment grâce à l'accès direct au dossier médical - d'améliorer la qualité des soins (en développant en particulier la formation médicale continue) et de créer un système d'indemnisation pour les victimes d'aléas médicaux. Lionel Jospin s'était engagé, à la fin de juin 1999, à faire voter cette réforme, plutôt populaire dans l'opinion. Le projet de loi a pris du retard. Il a donné lieu à de difficiles arbitrages, notamment en ce qui concerne l'indemnisation des victimes d'aléas médicaux. Mais, si le Premier ministre parvient à le faire voter avant la fin de la législature, il pourra utilement l'ajouter à son bilan.
Les leaders de la droite - au premier rang desquels Jacques Chirac, dont la popularité n'est pas affectée par les affaires - doivent contempler avec une délectation gourmande les nuages qui s'amoncellent au-dessus de l'horizon électoral de Lionel Jospin. Ce sont là des satisfactions de courte durée car, si l'opposition devenait majorité, elle se retrouverait, elle aussi, au pied du mur de la réforme sociale.
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