EEN PREMIER LIEU, il faut rappeler que chaque stade de l'approche diagnostique et thérapeutique est conditionné par le bon déroulement des précédents. L'adhésion au traitement dépend de la manière dont ont été mises en œuvre l'identification et l'exploration du trouble, l'annonce du diagnostic et l'information sur le traitement.
Le diagnostic de dépression doit être clairement établi, car il pèche autant par excès que par sous-estimation. La dépression peut être masquée par une plainte somatique prédominante, une fatigue ou une anxiété excessives, des manifestations psychologiques non dépressives (stress, troubles de la personnalité, addictions, en particulier alcoolique). Elle est difficile à mettre en évidence quand un événement de vie - conflit familial ou professionnel, difficultés affectives ou économiques - occupe toute la scène. Comme l'a montré l'enquête Orphee*, les patients consultent de plus en plus ouvertement pour dépression, mais ce terme suremployé peut en fait recouvrir d'autres états comme un malaise existentiel ou d'autres troubles psychiatriques.
On ne peut donc se contenter d'impressions, et, comme tout diagnostic, celui de dépression doit être documenté par un interrogatoire et un examen clinique somatique et psychique complet. Chaque item de la dépression doit être exploré, même quand elle paraît évidente. Il est intéressant de paraphraser les expressions du patient (« si je comprends bien ce que vous me dites ») pour lui permettre de reformuler sa plainte sous une forme différente ou de la repréciser. En s'appropriant ainsi son symptôme, il acceptera une aide pour cette plainte précise, alors que si on lui dit : « Vous êtes seulement un peu déprimé », il est très probable qu'il la refusera.
Evaluer le risque suicidaire : poser les bonnes questions .
Il est essentiel à ce stade d'interroger clairement le patient sur ses idées de mort, leur fréquence, de savoir s'il a déjà élaboré un mode de passage à l'acte. Les médecins n'osent souvent pas poser de questions sur le suicide ou la tristesse. Ce n'est pas plus inquisiteur que de prendre la tension ! Evoquer un symptôme ne favorise pas le passage à l'acte, et l'ignorer serait plus néfaste que de l'explorer avec tact.
Les comorbidités somatiques et psychiatriques, en particulier les troubles anxieux, doivent être recherchées.
Identifier la cible du traitement.
L'annonce du diagnostic n'est pas toujours facile. Il ne faut pas rester dans le vague, mais interroger très concrètement le patient en lui posant la question : « Qu'en pensez-vous ? », en lui disant : « D'après ce que vous dites, il y a de quoi être découragé, voire déprimé », « Ce que vous dites s'appelle habituellement dépression », pour voir s'il adhère à ce diagnostic. S'il manifeste une résistance ou un malaise, qu'il refuse d'entendre le diagnostic, il faut utiliser ses expressions : « Je n'y arrive plus, je n'en peux plus », les reprendre : « Si je comprends bien, vous êtes en ce moment plus fatigué que d'habitude, vous n'êtes plus comme avant », et, à partir de ses propres arguments, l'amener à ce que le diagnostic émerge comme une évidence. Certains patients n'expriment que : « Je vais mal, tout va mal », sans identifier clairement le trouble ; on ne peut pas guérir simplement d'aller mal, d'où l'importance de mettre en évidence une souffrance précise. Pour ces patients, comme chez ceux qui restent sur la défensive vis-à-vis de leur dépression ou se cantonnent à la plainte somatique, le médecin recherchera un symptôme particulier - trouble du sommeil, amaigrissement, difficultés de concentration, absence de plaisir, perte du lien - qui sera le « cheval de Troie » permettant d'évoquer le diagnostic, d'établir l'alliance et sera la cible de la stratégie thérapeutique et du suivi.
Il faut sortir de l'explication simpliste, l'événement de vie en tant que responsable de la dépression, un « dépressocoque social » qu'il suffit de supprimer pour que tout rentre dans l'ordre. Si on reste sur le terrain « C'est normal que j'aille mal, avec ce qui m'arrive », c'est l'événement qui est déprimant et pas le patient qui est déprimé, et le médecin est impuissant à traiter une maladie dont les causes sont externes puisqu'il ne va résoudre ni les problèmes familiaux ni les problèmes professionnels. La dépression n'est pas une angine, les événements de vie font partie intégrante du problème, sont une circonstance aggravante, voire un facteur déclenchant des épisodes dans certains cas, mais ils ne sont pas la cause de la dépression. Il faut prendre en compte l'histoire du patient, et à partir d'elle tenter d'analyser les réactions à l'événement et de montrer comment elles traduisent une faillite adaptative.
Informer le patient et sa famille sur le traitement.
Dès l'annonce du traitement, il faut rassurer le patient sur l'existence de solutions à son problème et l'informer sur les diverses possibilités thérapeutiques. Le discours sur le traitement doit être franc, direct, et n'éluder aucun aspect concernant sa nature, son mode d'action, sa durée et ses effets secondaires. Le ou les symptômes cibles concrets préalablement identifiés seront le point d'ancrage du consensus thérapeutique, permettront de choisir l'antidépresseur en fonction de ses potentialités plus ou moins sédatives et constitueront un indicateur de l'efficacité du traitement.
La psychothérapie sera abordée et développée ultérieurement. Dans l'immédiat, le patient n'en est généralement pas capable, mais il est en revanche indispensable de lui assurer un soutien psychologique dès le départ. Psychothérapie et pharmacothérapie sont indissociables, il ne peut être question de les opposer. Prendre un médicament est déjà en soi une démarche psychologique : c'est accepter d'être aidé et de penser qu'on peut aller mieux.
Il faut garder à l'esprit que le patient n'intégrera pas en une fois tout l'information délivrée. Il faut savoir la répéter (pas de « Je vous l'ai déjà dit ! »), l'adapter à ses capacités cognitives et à son rythme de pensée. La difficulté est de garder une certaine distance, tout en délivrant une information qui ne se cantonne pas aux généralités mais s'enracine dans le vécu du patient. Il ne se sent guère concerné par les considérations globales sur la dépression et le dialogue doit le toucher dans ce qu'il éprouve.
Il est indispensable de discuter avec la famille à la fois de la pathologie et du traitement. A ce stade, l'entourage a souvent un rôle assez négatif, notamment vis-à-vis des médicaments, tout en idéalisant paradoxalement le patient « quand il n'était pas déprimé ». Il faut faire avec la famille une relecture des symptômes, revoir les conséquences au quotidien de la vie avec un déprimé, l'infléchissement global du fonctionnement familial par rapport aux week-ends, aux sorties, à l'ambiance de la maison. Sinon, l'entourage occulte tous ces éléments négatifs antérieurs pour ne plus se concentrer que sur les effets secondaires du médicament : « Docteur, vous le (la) droguez ! » Enfin, le patient ne peut guérir si les enjeux familiaux ne s'améliorent pas et le maintiennent sous une chape dépressive.
Choisir la stratégie médicamenteuse.
Les Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont actuellement recommandés en première intention. Efficaces, bien tolérés, ils sont choisis en fonction du profil du patient. Pour une personnalité qui aime avoir une certaine maîtrise sur les choses, on envisagera plutôt un IRS stimulant, comme la doxépine. A l'inverse, pour les anxieux et ceux qui préfèrent garder à distance les problèmes, on prescrira une molécule plus sédative comme la paroxétine. Dans les tableaux plus sévères, on peut envisager un tricyclique. Pour les classes thérapeutiques plus complexes ou les associations d'antidépresseurs, il est souhaitable d'avoir un avis spécialisé.
Le suivi du patient dépressif.
Après la mise en place du traitement, le patient doit être revu entre la 2e et la 4e semaine du traitement, selon la sévérité du tableau. Les consultations successives vont permettre apprécier l'efficacité et la tolérance au traitement, la persistance d'éléments de vie négatifs, l'existence des facteurs externes positifs ou protecteurs, et la mise en place des modalités psychologiques d'adaptation et de changement. Le risque suicidaire doit être en permanence réévalué.
L'amélioration peut être complète avec disparition totale de la symptomatologie : pour prévenir le risque de rechute ou de récidive, les antidépresseurs devront être prescrits pendant plusieurs mois.
L'amélioration reste souvent partielle, avec persistance de la dimension dépressive ou anxieuse ou de l'inhibition, et il faut identifier les facteurs de résistance. Le traitement peut être inadapté : il faut savoir augmenter les doses (30 % des patients ne répondent pas aux doses unitaires), changer de classe, d'où l'intérêt d'avoir identifié un symptôme cible pour suivre l'efficacité. Un certain nombre de résistances peuvent être liées à des troubles de la personnalité qui se démasquent à ce moment. Il faut aussi s'interroger sur les éléments négatifs et positifs, et en particulier sur le rôle de l'entourage ; la guérison s'associe toujours à un nouvel environnement psychologique et nécessite un réarrangement relationnel et familial qui ne laisse jamais intact l'entourage. Un certain nombre de patients résistent à la prise en charge parce qu'il n'envisagent pas une vie en allant bien. Or, guérir d'une dépression, ce n'est pas seulement ne plus être déprimé, c'est retrouver un avenir, un horizon, un désir de quelque chose. Tout un travail psychologique devra être entrepris avec ces patients pour réfléchir : à quoi ça va-t-il leur servir de guérir, quel seront leur devenir, leurs projets, quand ils iront ira mieux.
*Observatoire d'évaluation de la pratique médicale dans la prise en charge du patient dépressif en médecine générale.
Journée d'Amphis : « Dépression et anxiété : les défis pour le médecin généraliste », présidée par le Pr Maurice Ferreri, parrainée par les laboratoires Chiesi.
Prévenir le suicide, une politique de santé publique
La France est un des pays d'Europe où le nombre de suicides est le plus élevé. On oublie parfois que la lutte contre le suicide passe aussi par des mesures simples comme éviter de pouvoir se jeter sous un train ou une législation renforcée sur les armes à feu.
Un antidépresseur qui agit rapidement sur la maladie dépressive et sur sa composante anxieuse
L'existence fréquente d'une comorbidité anxieuse oriente vers un antidépresseur à potentialité sédative, comme le mésilate de paroxétine (Divarius), actif à la fois sur la dépression et l'anxiété.
Dépression et anxiété sont très souvent associées, majorant le risque de suicide. L'anxiété peut être le signe d'appel de la dépression et la masquer, quand l'agitation au premier plan occulte le ralentissement psychomoteur.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont actuellement recommandés comme traitement antidépresseur de première intention. Le mésilate de paroxétine, indiqué par ailleurs dans la prévention des attaques de panique, les troubles obsessionnels compulsifs, les phobies sociales (trouble d'anxiété sociale caractérisé) perturbant de manière importante les activités professionnelles ou sociales et l'anxiété généralisée, a reçu l'AMM dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs caractérisés et des troubles anxieux. L'amélioration se manifeste autour de 2 à 3 semaines. La posologie initiale est de 20 mg par jour, mais peut être augmentée progressivement, par paliers d'une semaine, sans dépasser 50 mg par jour, en cas de tableau clinique sévère ou de réponse incomplète. Pour éviter les rechutes, les récidives ou le passage à la chronicité, le traitement doit être prescrit au moins six mois, avec un arrêt progressif étalé sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Le traitement médicamenteux de l'épisode dépressif n'est arrêté qu'après une période de six mois pendant laquelle le patient est considéré comme asymptomatique, il est prolongé en cas de d'antécédents dépressifs majeurs récurrents et rapprochés.
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