APRES HUIT années d'une alimentation exclusivement mixée, un Allemand de 56 ans, qui avait été traité par chirurgie et radiothérapie pour une tumeur de la mâchoire, a pu manger des saucisses et du pain. Cette amélioration nette de la qualité de vie a été obtenue grâce à la greffe d'un tissu osseux fabriqué à partir de fragments d'os et de moelle prélevés sur le patient lui-même, mis en culture dans un moule en titane placé sur un muscle du dos. L'homme avait été opéré en 1998.
Dans les suites immédiates de la radiothérapie qui lui avait été administrée, il avait reçu une greffe d'un matériel en titane sur une longueur de 7 cm reliant ainsi les deux portions osseuses. Mais cette greffe s'est révélée peu fonctionnelle obligeant le patient à une alimentation semi liquide. Dans ces conditions, d'autres traitements ont été envisagés. Pour ce type de réparation, en effet, les chirurgiens plasticiens peuvent avoir recours à des prélèvements osseux hétérologues (sur cadavre) ou autologues (à partir des os iliaques ou des côtes). Mais, chez le patient, traité par anticoagulant pour un problème d'arythmie concomitante, ce type d'intervention était difficilement imaginable. En outre, les spécialistes de la reconstruction osseuse hésitent à pratiquer de tels gestes en raison des complications secondaires inhérentes à l'ablation osseuse. Devant la demande du patient, l'équipe du Dr P. Warnke a imaginé une nouvelle technique.
Dans un premier temps, elle a analysé la morphologie faciale du patient avant la première intervention par modélisation en trois dimensions de la face à partir d'images photographiques. Elle a pu estimer les caractéristiques précises de l'os mandibulaire et ils ont construit en fil de titane un moulage de la partie manquante de cet os. Une fois cette étape franchie, les médecins ont prélevé sur le patient des fragments osseux de petite taille ainsi que de la moelle osseuse (20 ml). L'entité contenant ces prélèvements enfermés dans le moule en titane a été mise en contact avec un facteur d'induction de l'ostéogenèse : le BMP7 (Bone Morphogenetic Protein 7) dont l'effet stimulant a été prouvé auparavant chez l'animal. Ce n'est qu'à l'issue de ces différentes manipulations que le dispositif a été implanté chez le patient. En raison des possibles difficultés opératoires liées à l'irradiation cutanée du visage et du cou, le Dr Warnke a proposé que la phase de mise en culture cellulaire soit effectuée sur un territoire hétérotopique. Le dispositif a donc été inséré dans le dos sous le grand dorsal
(latissimus dorsi),un muscle de grande taille (donc, protecteur) et bien vascularisé. Durant les huit semaines de multiplication cellulaire, le fragment a été surveillé par scintigraphie afin de confirmer la croissance osseuse. Ce n'est qu'après ce délai et en raison de la bonne viabilité du dispositif que le fragment osseux accompagné d'une portion de muscle contenant, en outre, une artère et une veine a été inséré en position définitive.
Le patient peut mastiquer.
Quatre semaines après la transplantation et en dépit de l'absence de dents sur la mandibule, le malade a pour la première fois en neuf ans pu mastiquer. Les médecins envisagent maintenant de poursuivre la prise en charge par l'adjonction d'une prothèse dentaire qui devrait encore conforter le résultat fonctionnel.
Dans un éditorial, le Dr Stan Gronthos (Adélaïde) soulève différents points. D'une part, il propose l'utilisation d'autres facteurs de croissance osseuse en raison de l'origine bovine du BMP-7 et, de ce fait, du risque de maladies à prions. Il souligne aussi que le devenir à moyen et long terme de cette intervention est encore incertain et que la fonctionnalité n'est pas prédictible. En attendant, le patient est très satisfait du résultat esthétique et fonctionnel de l'intervention.
« The Lancet », vol. 364, pp. 735-736 et 766-770, 28 août 2004.
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