« L'Otage » de Paul Claudel

Une puissance troublante

Publié le 03/04/2001
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« T OUTE mon enfance a été bercée aux lèvres d'une vieille servante, du récit d'antiques forfaits, mêlés à d'obscurs sacrifices, dont je voyais lentement sous mes yeux se réaliser les aboutissements pathétiques », se souvenait Claudel. En 1908, il envisage cette trilogie des Coûfontaine, dont « l'Otage » est le premier volet, et note dans son journal : « Le lieu de la famille et de la terre. Un ensemble de drames, lieu : l'abbaye d'Igny. » La famille et l'Histoire. C'est ce qui intéresse Bernard Sobel qui signe, en collaboration avec Michèle Raoul-Davis, sa collaboratrice artistique depuis des années, un spectacle fidèle à la puissance du poète et qui éclaire l'œuvre d'une manière originale et forte.

Un décor qui dit beaucoup : enserrant un plancher, une charpente qui se fait forêt d'hiver, arbres inquiétants qui se termineraient en couronne d'épines pour qui scrute cette image omniprésente et dense... Le grand Christ sauvé par Sygne est adossé à une poutre, présent et caché à la fois. Peu d'éléments de décor hors ce dispositif qui change selon les lumières et les silhouettes ou images projetées sur le fond.
Parlant de « l'Otage », en 1946, Paul Claudel disait : « C'est une pièce atroce, qui laisse le spectateur, aussi bien d'ailleurs que l'auteur lui-même, dans un état douloureux de suspens, de mécontentement et d'angoisse. » On ne peut mieux dire. La scène est à la fin du Premier Empire, quelque part dans l'âpre Marne. Sygne de Coûfontaine (Carine Baillod) sacrifie sa vie et son amour pour son cousin Georges (Gilles Masson), qui tient en otage le pape Pie (Alain Mac Moy), qu'il veut faire passer en Angleterre. Elle obéit à l'injonction du curé Badilon (Bernard Ferreira) et se livrera à Toussaint Turelure (Carlo Brandt), enfant pauvre devenu préfet de la Marne, puis de la Seine...
Disant cela, on ne dit rien. Comme toujours avec Claudel, la matière de la langue et la violence des débats intérieurs comme la violence du monde, sont les véritables protagonistes. Ecriture ample, puissante, prenante, écriture subjuguante, hauteur infinie de la pensée - pas celle de Turelure qui rêve ascension et ne cesse de s'avilir et d'avilir. Et que Claudel dessine pourtant comme touchant. Débats religieux et politiques flambent haut, comme flambent haut les branchages torturés des arbres. Histoire sublime, histoire atroce, fin d'un monde, parturition douloureuse. Sublime est Sygne à laquelle Carine Baillod donne sa grâce aristocratique, la noblesse de sa présence, la belle et ferme diction. Très belle Sygne, très belle actrice au plus près de Claudel. Face à elle, le Georges de Gilles Masson est bouleversant, juste, le pape d'Alain Mac Moy a l'autorité qui convient, le curé Badillon est très bien défendu par Bernard Ferreira. La force de Carlo Brandt, cette force comme corrodée d'on ne sait quelle inquiétude, sied à Turelure. Très grande hauteur de jeu de l'ensemble des interprètes, très bonne direction d'acteurs, très belle mise en scène.

Théâtre de Gennevilliers, à 20 h 30 du mardi au samedi, à 16 h 00 le dimanche. Durée : 3 heures, entracte compris (01.41.32.26.26). En marge des représentations, une belle exposition de photographies au théâtre « Cimetière imaginaire des philosophes » de Fabien Stech.
A signaler, le lundi 9 avril à 18 h, rencontre au siège du Comité national du PCF, 2, place du Colonel-Fabien, 75019 Paris sur le thème « Dieu dans l'Histoire ». Avec Antoine Casanova, historien, directeur de « La Pensée », Jean-Pierre Jouffroy, historien d'art, peintre, Michèle Raoul-Davis, dramaturge, Bernard Sobel.

HELIOT Armelle

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6891